Europa/Francia/Marzo del 2017/Noticia/https://theconversation.com/
Deux rapports vont être rendus publics prochainement sur le thème de l’innovation. L’un a été confié au chercheur François Taddéi, à qui on a demandé de réfléchir à la recherche-développement en éducation dans l’enseignement scolaire et supérieur. L’autre est l’émanation des travaux du Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative, une instance créée en 2013 et que je préside depuis septembre 2016. Ce sera le 3e et ultime rapport qui sera rendu public lors de la journée de l’innovation qui se tient le 29 mars.
L’innovation semble donc être devenue un thème majeur. Mais c’est aussi un mot piégé et même un repoussoir lorsqu’elle est vécue comme une injonction un peu vaine. L’enjeu est de sortir des pièges communicationnels et de construire une démarche d’innovation et d’expérimentation qui rassemble les enseignants et qui soit au service d’une ambition.
Les quatre pièges de l’innovation
1. L’innovant solitaire et rebelle.
La première difficulté tient à la manière dont l’innovant est trop souvent présenté à l’opinion publique par les médias. On y aime les belles histoires individuelles d’enseignants qui se dressent contre une administration qui les bloque et les empêche d’innover. La surmédiatisation récente de Céline Alvarez, est un des exemples les plus récents d’« héroïsation » de l’innovant. On peut même dire que les médias sont accros à l’héroïne…
Un enseignant innovant c’est bien, mais une équipe innovante c’est encore mieux ! Même s’il faut louer et encourager les « enseignants innovants », il est tout aussi important de mettre en évidence et d’analyser la dimension collective et institutionnelle qui permet aux projets de se développer, de se diffuser et de survivre à leurs initiateurs.
Par ailleurs, si l’innovation est une déviance, c’est surtout par rapport à des habitudes et des routines. La rébellion n’est pas forcément là où on pense la trouver. Innover, cela peut aussi tout simplement appliquer les textes officiels et se saisir des marges de manœuvre qu’ils contiennent.
2. L’innovation apanage du privé ?
Les médias ont souvent mis en avant des initiatives privées. Le développement récent des écoles hors-contrat nous donne à voir une très grande hétérogénéité des initiatives qui vont de méthodes centrées sur le développement de l’enfant à des dispositifs qui regardent vers le passé. Mais le point commun à toutes ces situations est qu’elles laissent entendre implicitement que le système public est incapable d’évoluer et d’accepter les expérimentations.
Cela amène une partie des enseignants à avoir une vision biaisée de l’innovation et à la refuser au nom d’une logique de défense du service public. Paradoxalement, cela laisse le champ libre à une logique marchande et élitiste car ces innovations médiatisées se développent sur certaines lacunes et les difficultés du service public. Il est indispensable de sortir de ce piège. C’est un des enjeux du rapport que nous présentons, d’affirmer et de montrer que le service public est capable d’innovations et d’expérimentations au service de tous et pas seulement de quelques-uns.
3. L’innovation : discours managérial ?
J’ai pu lire récemment dans une annonce qu’une académie X recrutait un « chargé de mission pour un incubateur de projets innovants ». On parle aussi souvent de « bonnes pratiques », un terme fréquent dans le management. Le vocabulaire associé à ce thème emprunte souvent au monde de l’entreprise. Pour certains enseignants, l’innovation ne serait alors qu’un terme à la mode, un élément de langage managérial.
Dans la suite logique de ce que nous évoquions plus haut, cela engendre une réaction de défiance et dans une phraséologie bien connue, cela va être lu comme un signe de la « marchandisation de l’École » et du développement des « pratiques néo-manageriales ».
Il ne faut pas le nier, c’est un discours technocratique et performatif que peut utiliser une partie non négligeable de la technostructure de l’Éducation nationale.
Du ménagement plutôt que du management… Le CNIRÉ souhaite qu’on évite ce piège d’un discours surplombant et de la rhétorique managériale sur les « bonnes pratiques » et préconise de privilégier les changements à « bas bruit » au sein de l’Éducation nationale.
4. L’injonction à l’innovation
« On le fait déjà », est en effet une des phrases qui revient souvent en réaction à ce qui est qualifié chez plusieurs enseignants d’« injonction à l’innovation ». Ceux-ci perçoivent le discours de l’administration comme un discours injonctif où on prescrirait un idéal qui méconnaîtrait la réalité du terrain et des pratiques enseignantes. Cela peut être vécu comme un discours culpabilisant au détriment de l’action quotidienne des enseignants engagés dans une « pédagogie ordinaire ».
Cette position doit être entendue et ne pas être cataloguée immédiatement comme relevant de la déploration enseignante et de la « résistance au changement » (autre terme piégé). Il s’agit de « moins prescrire l’idéal et mieux soutenir l’existant » pour reprendre une formule empruntée à Françoise Lantheaume.
Sortir des pièges
Il y a donc un ensemble de pièges qu’il faut éviter lorsque l’on parle de l’innovation. Celle-ci est trop souvent vue comme une injonction managériale ou la mise en avant d’individus ou d’expériences singulières relevant de l’initiative privée. Ceux-ci doivent être pris en compte pour refonder une démarche d’innovation et d’expérimentation et en faire une pratique commune et partagée.
Le Cniré a voulu se placer au cours de ses quatre années d’existence comme un observatoire des pratiques enseignantes plus que comme un prescripteur. Nous en ressortons avec la conviction que ce qui importe c’est autant la démarche de recherche que l’innovation en elle-même. Plutôt que de parler d’« enseignants innovants », il nous semble plus pertinent de parler d’enseignants ou de praticiens dans une démarche de recherche.
« Innover » n’est pas un but en soi mais une démarche au service de valeurs. On devrait, nous semble-t-il, parler plutôt de droit à l’expérimentation. Expérimenter, chercher ensemble, s’évaluer, plutôt qu’à tout prix innover…
Pour cela, et c’est une autre conviction, la formation est indispensable. La réflexivité, le travail en équipe, le partenariat, l’écriture professionnelle, le lien avec la recherche pourraient être plus présents dans la formation initiale. Mais la formation continue est encore plus importante. Il faudrait développer une logique du développement professionnel fondée sur une programmation des activités de formation partant des besoins et des problèmes rencontrés par les enseignants dans leur travail au quotidien.
Cette conception du développement professionnel, au service d’une innovation et d’une expérimentation au plus près des besoins des élèves, pourra le mieux s’exprimer et se programmer dans le cadre d’un établissement formateur et intégrateur.
Car la troisième conviction issue de nos travaux est que l’établissement est le lieu le plus adéquat pour favoriser l’innovation et lutter efficacement contre les inégalités. C’est à ce niveau que peuvent se construire des espaces de formation et de travail coopératif que nous souhaitons voir se développer. Cela suppose aussi une évolution de la gouvernance de l’éducation nationale qui aille vers une plus grande autonomie des équipes.
Innover pour quoi faire ?
Mais c’est une autonomie encadrée qui ne peut s’inscrire que dans des finalités clairement énoncées. Le titre donné à ce troisième rapport du Cniré est « Innover pour une école plus juste et plus efficace ». L’accord s’est fait très vite sur cet impératif. On ne peut plus s’accommoder d’une situation qui fait de l’École française une école inégalitaire où l’origine sociale joue un rôle si déterminant dans la réussite éducative.
Nous voulons améliorer notre École pour qu’elle puisse travailler plus efficacement au service de la réussite de tous les élèves. C’est parce que la lutte contre les inégalités doit être la priorité absolue qu’il faut innover et construire une école plus efficace.
Fuente:
https://theconversation.com/fr/education
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