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La Révolution sans prendre le pouvoir ? À propos d’un récent livre de John Holloway

Peut-on parler d’un courant libertaire, comme si un même fil se déroulait à travers l’histoire contemporaine et comme s’il était possible d’y repérer suffisamment d’affinités pour que ce qui l’unit l’emporte sur les différences ? Un tel courant, si tant est qu’il existe, est en effet marqué par un fort éclectisme théorique et traversé d’orientations stratégiques non seulement divergentes, mais souvent contradictoires. Nous retenons cependant l’hypothèse qu’il existe bien un « ton » ou une « sensibilité » libertaire, plus large que l’anarchisme en tant que position politique spécifiquement définie. Ainsi, est-il possible de parler d’un communisme libertaire (illustré notamment par Daniel Guérin), d’un messianisme libertaire (Walter Benjamin), d’un marxisme libertaire (Michaël Löwy, Miguel Abensour), voire un « léninisme libertaire » qui trouverait sa source notamment dans L’État et la Révolution.

Cet « air de famille » (souvent déchirée et recomposée) ne suffit pas à établir une généalogie cohérente. On peut repérer plutôt des « moments libertaire » qui s’inscrivent dans des situations fort différentes et se nourrissent de références théoriques fort distinctes. On peut distinguer à grands traits trois moments forts :

– Un moment constitutif (ou classique) illustré par la trilogie Stirner-Proudhon-Bakounine. L’Unique et sa Propriété (Stirner) et Philosophie de la Misère (Proudhon) ont été publiés au milieu des années 1840. C’est au cours de ces mêmes années que Bakounine s’est formé au fil d’un périple qui l’a conduit de Berlin à Bruxelles en passant par Paris. C’est le moment charnière où s’achève la période de réaction post-révolutionnaire et où se préparent les soulèvements de 1848. L’État moderne y prend forme. Une conscience nouvelle de l’individualité découvre dans la douleur romantique les chaînes de la modernité. Un mouvement social inédit travaille les profondeurs d’un peuple qui se fracture et se divise sous la poussée de la lutte des classes. Dans cette transition, entre « déjà-plus » et « pas-encore », les pensées libertaires flirtent avec les utopies florissantes et avec les ambivalences romantiques. Un double mouvement de rupture et d’attraction envers la tradition libérale se dessine. La revendication par Daniel Cohn-Bendit d’une orientation « libérale-libertaire » s’inscrit dans cette ambiguïté constitutive.

– Un moment anti-institutionnel ou anti-bureaucratique, à la charnière du XIXe et du
XXe siècle. L’expérience du parlementarisme et du syndicalisme de masse révèle alors les « dangers professionnels du pouvoir » et la bureaucratisation qui menace le mouvement ouvrier. On en trouve le diagnostic aussi bien chez Rosa Luxemburg que dans le livre classique de Roberto Michels sur les Partis politiques (1911), dans le syndicalisme révolutionnaire de Fernand Pelloutier et de Georges Sorel, que dans les fulgurances critiques de Gustav Landauer [1]. On en trouve également l’écho dans les Cahiers de la Quinzaine de Péguy, ou dans le marxisme italien d’un Labriola.

– Un troisième moment, post-stalinien, répond aux grandes désillusions du siècle tragique des extrêmes. Plus diffus, mais plus influent que les héritiers directs de l’anarchisme classique, un courant néolibertaire émerge confusément. Il constitue un état d’esprit, un « air du temps » (a mood), plutôt qu’une orientation définie. Il embraye sur les aspirations (et les faiblesses) des mouvements sociaux renaissants. Les thématiques d’auteurs comme Toni Negri ou John Holloway [2] s’inspirent ainsi de Foucault et de Deleuze, bien plus que des sources historiques du XIXe siècle, sur lesquelles l’anarchisme classique lui-même n’exerce guère son droit d’inventaire critique [3].

Entre ces « moments », on peut trouver des passeurs (comme Walter Benjamin, Ernst Bloch, Karl Korsch), qui amorcent la transition et la transmission critique de l’héritage révolutionnaire, « à rebrousse-poil » de la glaciation stalinienne.

Les résurgences et les métamorphoses actuelles de courants libertaires s’expliquent aisément :

– par la profondeur des défaites et des déceptions subies depuis les années trente, et par la prise de conscience des dangers qui menacent de l’intérieur les politiques d’émancipation ;

– par l’approfondissement du processus d’individualisation et l’avènement d’un « individualisme sans individualité », qu’annonçait la polémique de Marx contre Stirner ;

– par les résistances de plus en plus fortes aux dispositifs disciplinaires et aux procédures de contrôle biopolitique intériorisés par des sujets à la subjectivité mutilée par la réification marchande.

Dans ce contexte, en dépit des profonds désaccords que nous allons développer, nous reconnaîtrons volontiers aux contributions de Negri ou de Holloway le mérite de relancer un débat stratégique nécessaire dans les mouvements de résistance à la mondialisation impériale, après un sinistre quart de siècle où ce type de débat était tombé au degré zéro : le refus de se rendre aux (dé)raisons du marché triomphant oscillait alors entre une rhétorique de la résistance sans horizon d’attente, et l’attente fétichiste d’un événement miraculeux. Nous avons abordé ailleurs la critique de Negri et de son évolution [4]. Nous amorçons ici la discussion avec John Holloway, dont le récent livre porte un titre-programme et suscite déjà de vifs débats, tant dans l’espace anglo-saxon qu’en Amérique latine.

Le péché originel de l’étatisme

Au commencement était le cri. La démarche de John Holloway part d’un impératif de résistance inconditionnelle : nous crions ! Non seulement de rage, mais d’espérance. Nous poussons un cri, un cri contre, un cri négatif, celui des zapatistes du Chiapas :
« Ya Basta ! Ça suffit comme ça ! » Un cri d’insoumission et de dissidence. « Le but de ce livre, annonce-t-il d’entrée, est de renforcer la négativité, de prendre le parti de la mouche prise dans la toile d’araignée, afin de rendre le cri plus strident encore » (p. 8). Ce qui rassemble les zapatistes (dont l’expérience hante de part en part le propos de Holloway), « ce n’est pas une composition de classe commune, mais plutôt la communauté négative de leur lutte contre le capitalisme » (p. 164). Il s’agirait donc d’un combat visant à nier l’inhumanité qui nous est imposée pour retrouver une subjectivité immanente à la négativité même. Nul besoin en effet d’une promesse de happy end pour justifier notre refus du monde tel qu’il est. Comme Foucault, Holloway veut rester au ras du million de résistances multiples, irréductibles à la relation binaire entre capital et travail.

Ce parti pris du cri ne suffit pourtant pas. Il faut aussi pouvoir rendre compte de la grande désillusion du siècle passé. Pourquoi tous ces cris, ces millions de cris, des millions de fois répétés, ont-ils laissé debout, plus arrogant même que jamais, l’ordre despotique du capital ? Holloway croit tenir la réponse. Le ver était dans le fruit, le vice (théorique) originellement niché dans la vertu émancipatrice : l’étatisme a rongé dès l’origine le mouvement ouvrier dans la plupart de ses variantes : changer le monde par le biais de l’État aurait ainsi constitué le paradigme dominant de la pensée révolutionnaire soumise dès le XIXe siècle à une vision instrumentale et fonctionnelle de l’État. L’illusion de pouvoir changer la société par le moyen de l’État découlerait d’une certaine idée de la souveraineté étatique. Mais nous aurions fini par apprendre que « le monde ne peut être changé par le biais de l’État », lequel constitue seulement « un nœud dans la toile des rapports de pouvoir » (p. 19). Cet État ne se confond pas avec le pouvoir. Il définirait seulement le partage entre citoyens et non-citoyens (l’étranger, l’exclu, le « refusé du monde » selon Gabriel Tarde, ou le paria selon Arendt). L’État est donc très précisément ce que suggère le mot : « un rempart contre le changement et contre le flux de l’agir », ou encore « l’incarnation de l’identité » (p. 73). Il n’est pas une chose dont on puisse s’emparer pour la retourner contre ses détenteurs de la veille, mais une forme sociale, ou, mieux, un procès de formation des rapports sociaux : « un procès d’étatisation du conflit social » (p. 94). Prétendre lutter au moyen de l’État conduirait donc inévitablement à se défaire soi-même. La « stratégie étatiste » de Staline ne représenterait nullement une trahison de l’esprit révolutionnaire du bolchevisme, mais bel et bien son accomplissement : « l’aboutissement logique d’une conception étatiste du changement social » (p. 96). Le défi zapatiste consisterait au contraire à sauver la révolution à la fois de l’effondrement de l’illusion étatique et de l’effondrement de l’illusion du pouvoir.

Avant de pousser plus loin la lecture de son livre, il apparaît d’ores et déjà :

– Que Holloway réduit l’histoire foisonnante du mouvement ouvrier, de ses expériences et de ses controverses, à une marche unique de l’étatisme à travers les siècles, comme si ne s’étaient pas affrontées en permanence des conceptions théoriques et stratégiques fort différentes ; il présente ainsi comme absolument novateur un zapatisme imaginaire, ignorant superbement que le discours du zapatisme réellement existant véhicule, fût-ce à son insu, certaines thématiques anciennes.

– Le paradigme dominant de la pensée révolutionnaire résiderait selon lui un étatisme fonctionnaliste. Soit : à la condition – fort discutable – d’enrôler l’idéologie majoritaire de la social-démocratie (symbolisée par les Noske et autres Ebert) et l’orthodoxie bureaucratique stalinienne sous le titre élastique de la « pensée révolutionnaire ». C’est faire bien peu de cas d’une abondante littérature critique sur la question de l’État, qui va de Lénine et Gramsci aux polémiques actuelles [5], en passant par des contributions incontournables (qu’on y souscrive ou non) comme celles de Poulantzas ou de Altvater.

– Enfin, réduire toute l’histoire du mouvement révolutionnaire à la généalogie d’une « déviation théorique », permet de survoler l’histoire réelle d’un coup d’aile angélique, au risque de souscrire à la thèse réactionnaire (de François Furet à Gérard Courtois) sur la stricte continuité – « l’aboutissement » ! – entre la révolution d’Octobre et la contre-révolution stalinienne. Cette dernière ne fait d’ailleurs l’objet d’aucune analyse sérieuse. David Rousset, Pierre Naville, Moshe Lewin, Mikaïl Guefter (sans parler de Trotski ou de Hannah Arendt, voire de Lefort ou de Castoriadis), sont autrement plus sérieux sur ce point.

Le cercle vicieux du fétichisme ou comment en sortir ?

L’autre source des errements stratégiques du mouvement révolutionnaire tiendrait à l’abandon (ou l’oubli) de la critique du fétichisme introduite par Marx dans le premier livre du Capital. Holloway procède à ce sujet à un rappel utile, bien que parfois approximatif. Le capital n’est autre que l’activité passée (le travail mort) congelé en propriété. Penser en termes de propriété reviendrait cependant encore à penser la propriété comme une chose, dans les termes propres du fétichisme, et ce serait accepter de fait les termes de la domination. Le problème ne résiderait pas dans le fait que les moyens de production soient propriété des capitalistes : « Notre lutte ne vise pas, insiste Holloway, à nous approprier la propriété des moyens de production, mais à dissoudre à la fois la propriété et les moyens de production pour retrouver ou, mieux, pour créer la sociabilité consciente et confiante du flux de l’agir » (p. 4).

Mais comment briser le cercle vicieux du fétichisme ? Le concept, dit Holloway, traite de « l’insupportable horreur » que constitue l’auto-négation de l’agir. Le Capitaldévelopperait avant tout la critique de cette auto-négation. Le concept de fétichisme concentre la critique de la société bourgeoise (de son « monde enchanté ») et celle de la théorie bourgeoise (l’économie politique), en même temps qu’il expose les raisons de leur relative stabilité : l’infernal tourniquet par lequel les objets (argent, machines, marchandises) deviennent sujets, tandis que les sujets deviennent des objets. Ce fétichisme s’insinue dans tous les pores de la société au point que, plus le changement révolutionnaire apparaît urgent et nécessaire, plus il semble devenir impossible. Ce que Holloway résume, d’une formule délibérément inquiétante, comme « l’urgence impossible de la révolution ».

Cette présentation du fétichisme se nourrit de plusieurs sources : la réification selon Lukacs, la rationalité instrumentale selon Horkheimer, le cercle de l’identité selon Adorno, l’humanité unidimensionnelle selon Marcuse. Le concept de fétichisme exprimerait selon lui le pouvoir du capital explosant au plus profond de nous comme un missile libérant mille fusées colorées. C’est pourquoi le problème de la révolution ne serait pas le problème d’« eux » – l’ennemi, l’adversaire aux mille visages – mais d’abord le problème notre problème, le problème que « nous » pose à nous-mêmes ce « nous fragmenté » par le fétichisme.

« Illusion réelle », le fétiche nous emprisonne en effet dans ses rets et nous subjugue. Le statut même de la critique en devient problématique : si les rapports sociaux sont fétichisés, comment les critiquer ? Et qui sont les critiques, quels êtres supérieurs et privilégiés ? Bref, la critique même est-elle encore possible ?

C’est à ces questions que, selon Holloway, prétendait répondre la notion d’avant-garde, la conscience de classe « octroyée » (par qui ?), ou l’attente de l’événement rédempteur (la crise révolutionnaire). Ces solutions reconduisent inéluctablement à une problématique d’un sujet sain ou d’un justicier en lutte contre une société malade : un chevalier du bien susceptible de s’incarner dans le « working class hero » ou dans le parti d’avant-garde.

Une conception « dure » du fétichisme conduirait donc à un double dilemme sans issue : « La révolution est-elle concevable ? Et la critique est-elle encore possible ? » Comment échapper à cette « fétichisation du fétichisme » ? « Qui sommes-nous » donc pour exercer le pouvoir corrosif de la critique ? « Nous ne sommes pas dieu, nous ne sommes pas transcendants » ! Et comment éviter l’impasse d’une critique subalterne, restant sous l’emprise du fétiche qu’elle prétend renverser, dans la mesure où la négation implique la subordination à ce qui est nié ?

Holloway évoque plusieurs solutions :

– La réponse réformiste considérant que le monde ne peut être radicalement transformé : il faudrait se contenter de l’aménager et de le corriger à la marge. La rhétorique postmoderne accompagne aujourd’hui cette résignation de sa petite musique de chambre.

– La réponse révolutionnaire traditionnelle consisterait à ignorer les subtilités et les prodiges du fétichisme pour s’en tenir au bon vieil antagonisme binaire entre capital et travail, et pour se contenter d’un changement de propriétaire à la tête de l’État : l’État bourgeois devenant simplement prolétarien.

– Une troisième voie consisterait, au contraire, à chercher l’espérance dans la nature même du capitalisme et dans son « pouvoir ubiquitaire » (ou multiforme) auquel répond une « résistance ubiquitaire » (ou multiforme) (p. 76).

Holloway croit échapper ainsi à la circularité du système et à son piège mortel en adoptant une version douce (soft) du fétichisme, compris non comme un état, mais comme un processus dynamique et contradictoire de fétichisation. Ce processus serait gros de son contraire : « l’anti-fétichisation » des résistances immanentes au fétichisme même. Nous ne serions pas seulement les victimes objectivées du capital, mais des sujets antagoniques effectifs ou en puissance : « Notre expérience-contre-le-capital » serait ainsi « la négation constante et inévitable de notre existence-dans-le capital »
(p. 90).

Le capitalisme devrait être compris avant tout comme séparation du sujet et de l’objet, et la modernité comme conscience malheureuse de ce divorce. Selon la problématique du fétichisme, le sujet du capitalisme n’est pas le capitaliste lui-même, mais la valeur qui se valorise et devient autonome. Les capitalistes ne sont que les agents loyaux du capital et de son despotisme impersonnel. Or, pour un marxisme fonctionnaliste, le capitalisme apparaîtrait comme un système clos et cohérent, sans issue, à moins que ne survienne le deus ex machina, le grand moment miraculeux du bouleversement révolutionnaire. Pour Holloway, sa faille résiderait au contraire dans le fait que « le capital dépend du travail alors que le travail ne dépend pas du capital » : « l’insubordination du travail est donc l’axe autour duquel tourne la constitution du capital en tant que capital ». Dans la relation de dépendance réciproque mais asymétrique entre le capital et le travail, le travail pourrait ainsi se libérer de son contraire, mais pas le capital (p. 182).

Holloway s’inspire ici des thèses opéraïstes, avancées naguère par Mario Tronti, qui renversait les termes du dilemme en présentant le rôle du capital comme purement réactif à l’initiative créatrice du travail. Dans cette perspective, le travail, en tant qu’élément actif du capital, détermine toujours, à travers la lutte des classes, le développement capitaliste. Tronti présentait sa démarche comme « une révolution copernicienne du marxisme » [6]. Séduit par cette idée, Holloway reste réservé envers une théorie de l’autonomie qui renoncerait au travail du négatif (et, chez Negri, à toute dialectique au profit de l’ontologie), pour faire de la classe ouvrière industrielle un sujet positif et mythique (tout comme la multitude du dernier Negri). Une inversion radicale ne devrait pas, dit-il, se contenter de transférer la subjectivité du capital vers le travail, mais comprendre la subjectivité comme négation et non comme affirmation positive.

Pour conclure (provisoirement) sur ce point, rendons justice à John Holloway de remettre la question du fétichisme et de la réification au cœur de l’énigme stratégique. Il convient cependant de tempérer la portée novatrice de son propos. Si la critique du fétichisme a bien été refoulée par le « marxisme orthodoxe » de la période stalinienne (y compris par Althusser), son fil conducteur n’a pas été rompu pour autant : partant de Lukacs, on en suit la trace chez des auteurs relevant de ce qu’Ernst Bloch caractérisait comme « le courant chaud du marxisme » : Roman Rosdolsky, Jakubowski, Ernest Mandel, Henri Lefebvre (avec sa Critique de la vie quotidienne), Lucien Goldmann, Jean-Marie Vincent (dont le Fétichisme et Société, date de 1973 [7] !), ou, plus récemment, Stavros Tombazos ou Alain Bihr [8].

Insistant sur le lien intime entre procès de fétichisation et d’anti-fétichisation, Holloway retrouve, après bien des détours, la contradiction du rapport social qui se manifeste dans la lutte des classes. à la manière du président Mao, il précise que les termes de la contradiction n’étant pas symétrique, le pole du travail en constitue l’élément dynamique déterminant. C’est un peu l’histoire du gars qui passe son bras derrière sa tête pour s’attraper le nez. On relèvera cependant que l’accent mis sur le processus de « défétichisation » à l’œuvre dans la fétichisation même permet de relativiser (de « défétichiser » ?) la question de la propriété, décrétée, sans plus de précisions, soluble dans « le flux de l’agir ».

S’interrogeant sur le statut de la critique, Holloway n’échappe pas au paradoxe du sceptique qui doute de tout sauf de son propre doute. La légitimité de sa critique reste donc suspendue à la question de savoir « au nom de qui » et de « quel point de vue » (partisan ?) s’énonce ce doute dogmatique (souligné ironiquement dans le livre par le refus de poser un point final) ? Bref, « qui sommes-nous, nous qui exerçons la critique ? » Des marginaux privilégiés, des intellectuels excentrés, des déserteurs du système ? « Implicitement une élite intellectuelle, une sorte d’avant-garde », admet Holloway. Car, à vouloir congédier ou relativiser la lutte des classes, le rôle de l’intellectuel flottant en sort paradoxalement renforcé. On a tôt fait de retomber alors dans l’idée – kautskienne plutôt que léniniste – d’une science apportée « de l’extérieur de la lutte de classe par l’intelligentsia » (par les intellectuels détenteurs du savoir scientifique) ; et non pas, comme chez Lénine, d’une « conscience politique de classe » (non d’une science !) apportée de « l’extérieur de la lutte économique » (non de l’extérieur de la lutte de classe) par un parti (et non point par l’intelligentsia scientifique [9].

Décidément, quel que soit le mot pour le dire, quand on prend le fétichisme au sérieux, on ne se débarrasse plus facilement de la vieille question de l’avant-garde. Après tout, le zapatisme n’est-il pas encore une forme d’avant-garde (et Holloway son prophète) ?

« L’urgente impossibilité de la révolution »

Holloway propose de revenir au concept de révolution « comme question, non comme réponse » (p. 139) L’enjeu du changement révolutionnaire ne serait plus la « prise du pouvoir », mais son existence même : « Le problème avec le concept traditionnel de révolution, c’est peut-être qu’il ne vise pas trop haut, mais trop bas » (p. 20). Or, « la seule façon dont la révolution puisse être désormais pensée, ce n’est pas la conquête du pouvoir, mais sa dissolution ». Fréquemment cités comme référence, les zapatistes ne disent pas autre chose lorsqu’ils affirment vouloir créer un monde d’humanité et de dignité, « mais sans prendre le pouvoir » Holloway admet que cette approche paraît peu réaliste. Si elles n’ont pas visé la prise du pouvoir, les expériences dont il s’inspire n’ont pas davantage – jusqu’à nouvel ordre – réussi à changer le monde. Holloway affirme simplement (dogmatiquement ?) qu’il n’y a pas d’autre alternative.

Cette certitude, si péremptoire soit-elle, ne nous avance guère. Comment changer le monde sans prendre le pouvoir ? « À la fin du livre comme au début, nous confie l’auteur, nous ne savons pas. Les léninistes le savent ou le savaient. Nous ne le savons pas. Le changement révolutionnaire est plus urgent que jamais, mais nous ne savons plus ce que peut signifier une révolution […] Notre non-savoir est le savoir de ceux qui comprennent que ne pas savoir fait partie du processus révolutionnaire. Nous avons perdu nos certitudes, mais l’ouverture à l’incertain est décisive pour la révolution. Nous marchons en nous interrogeant, disent les zapatistes. Nous nous interrogeons, non seulement parce que nous ne connaissons pas le chemin, mais aussi parce que chercher le chemin fait partie du processus révolutionnaire lui-même » (p. 215).

Nous voici au cœur du débat. Au seuil du nouveau millénaire, nous ne savons pas ce que seront les révolutions futures. Mais nous savons que le capitalisme n’est pas éternel et qu’il est urgent de s’en libérer avant qu’il ne nous écrase. C’est le sens premier de l’idée de révolution. Il exprime l’aspiration récurrente des opprimés à leur libération. Nous savons aussi, après les révolutions politiques dont sont issus les États-nations modernes, après les épreuves de 1848, de la Commune, des révolutions vaincues du XXe siècle, que la révolution sera sociale ou ne sera pas. C’est le second sens qu’a pris, depuis le Manifeste communiste, le mot de révolution. Après un cycle d’expériences pour la plupart cuisantes, confrontés aux métamorphoses du capital, nous avons en revanche du mal à imaginer la forme stratégique des révolutions à venir. C’est ce troisième sens du mot qui se dérobe. Ce n’est pas si nouveau : personne n’avait programmé la Commune de Paris, le pouvoir des Soviets, ou le Conseil des milices de Catalogne. Ces formes « enfin trouvées » du pouvoir révolutionnaire sont nées de la lutte même et de la mémoire souterraine des expériences passées.

Depuis la Révolution russe, bien des croyances et des certitudes ont disparu en chemin ? Admettons (bien que je ne sois pas certain de la réalité de ces certitudes généreusement attribuées aux révolutionnaires crédules de jadis). Ce ne serait toujours pas une raison pour oublier les (souvent dures) leçons des défaites et la contre-épreuve des échecs. Ceux qui ont cru pouvoir ignorer le pouvoir et sa conquête ont souvent été rattrapés par lui : ils ne voulaient pas prendre le pouvoir, le pouvoir les a pris. Et ceux qui ont cru pouvoir l’esquiver, l’éviter, le contourner, le cerner, ou le circonvenir sans le prendre, ont trop souvent été broyés par lui. La force processuelle de la « défétichisation » n’a pas suffi à les sauver.

Même les « léninistes » (lesquels ?), dit Holloway, ne savent plus comment changer le monde. Mais ont-ils jamais – à commencer par Lénine lui-même – prétendu détenir ce savoir doctrinaire que Holloway leur attribue. L’histoire est plus compliquée. En politique, il ne saurait y avoir qu’un savoir stratégique : un savoir conditionnel, hypothétique, « une hypothèse stratégique » tirée des expériences passées et servant de fil à plomb, sans quoi l’action se disperse sans but. Cette hypothèse nécessaire n’empêche nullement de savoir que les expériences futures auront toujours leur part d’inédit et d’inattendu, obligeant à la corriger sans cesse. Renoncer au savoir dogmatique, n’est donc pas une raison suffisante pour faire table rase du passé, à condition de sauver la tradition (fût-elle révolutionnaire) du conformisme qui toujours la menace. En attendant de nouvelles expériences fondatrices, il serait en effet imprudent d’oublier avec frivolité ce que deux siècles de luttes, de juin 1848 à la contre-révolution chilienne ou indonésienne, en passant par la révolution russe, la tragédie allemande, ou la guerre civile espagnole, ont douloureusement inculqué.

Jusqu’à ce jour, il n’est pas d’exemple où les rapports de domination ne se soient déchirés à l’épreuve des crises révolutionnaires : le temps de la stratégie n’est pas le temps lisse de l’aiguille sur son cadran, mais un temps brisé, rythmé d’accélérations brusques et de soudains ralentissements. Dans ces moments critiques, ont toujours émergé des formes de dualité de pouvoir posant la question de savoir « qui l’emportera ». Enfin, la crise ne s’est jamais résolue positivement du point de vue des opprimés sans l’intervention résolue d’une force politique (qu’on l’appelle parti ou mouvement) porteuse d’un projet et capable de prendre des décisions et des initiatives déterminantes.

Nous avons perdu nos certitudes, répète Holloway à l’instar du héros incarné par Yves Montand dans un mauvais film (Les Routes du Sud, à partir d’un scénario de Jorge Semprun). Sans doute devons-nous apprendre à nous en passer. Mais, là où il y a lutte (à l’issue par définition incertaine), s’affrontent des volontés et des convictions, qui ne sont pas des certitudes mais des guides pour l’action, exposés aux démentis toujours possibles de la pratique. Oui à « l’ouverture à l’incertain » réclamée par Holloway ; non au saut dans le vide stratégique !

Dans ce vide abyssal, la seule issue à la crise serait l’événement lui-même, mais un événement sans acteurs, un pur événement mythique, déraciné de ses conditions historiques, échappant au registre de la lutte politique pour retomber dans celui de la théologie. C’est ce qu’évoque Holloway lorsqu’il invite son lecteur à « penser en termes d’antipolitique de l’événement, plutôt qu’en termes de politique d’organisation ». Le passage d’une politique de l’organisation à une antipolitique de l’événement cheminerait, selon lui, à travers les expériences de mai 1968, de la rébellion zapatiste, ou de la vague de manifestations contre la mondialisation capitaliste : « Tous ces événements sont des éclairs contre le fétichisme, des festivals d’insubordination, des carnavals de l’opprimé » (p. 215). Le carnaval comme forme enfin trouvée de la révolution postmoderne ?

À la recherche du sujet perdu

Une révolution – un carnaval – sans acteurs ? Holloway reproche aux « politiques de l’identité » de « figer les identités » : l’appel à ce que l’on est censé « être » impliquerait toujours une cristallisation de l’identité, alors qu’il n’y a pas lieu de distinguer entre bonnes et mauvaises identités. Les identités ne prennent sens qu’en situation et de façon transitoire : se revendiquer juif n’a pas la même signification dans l’Allemagne nazie ou aujourd’hui en Israël. En référence à un beau texte où le sous-commandant Marcos revendique la multiplicité des identités qui se croisent et se combinent sous l’anonymat du fameux passe-montagne, Holloway va jusqu’à présenter le zapatisme comme un mouvement « explicitement anti-identitaire » (p. 64). La cristallisation identitaire serait au contraire l’antithèse de la reconnaissance réciproque, de la communauté, de l’amitié et de l’amour : une forme de solipsisme égoïste. Alors que l’identification et la définition classificatoire contribuent aux dispositifs disciplinaires du pouvoir, la dialectique exprimerait le sens profond de la non-identité : « Nous, les non-identiques, combattons cette identification. Le combat contre le capital est un combat contre l’identification, et non un combat pour une identité alternative » (p. 100). Identifier revient à penser à partir de l’être. Penser à partir du faire et de l’agir, c’est, dans un seul et même mouvement, identifier et nier l’identification (p. 102). La critique de Holloway se présente donc comme « un assaut contre l’identité », comme le refus de se laisser définir, classer, identifier : nous ne sommes pas ce que l’on croit, et le monde n’est pas ce que l’on prétend.

Quel sens y a-t-il alors à dire encore « nous » ? Que peut bien recouvrir ce nous de majesté ? Il ne saurait désigner un grand sujet transcendantal (l’Humanité, la Femme, ou le Prolétariat). Définir la classe ouvrière, ce serait la réduire au statut d’objet du capital et la dépouiller de sa subjectivité. Il faudrait donc renoncer à la quête d’un sujet positif : « Comme l’État, comme l’argent, comme le capital, la classe doit être comprise comme un processus et le capitalisme comme la formation toujours renouvelée des classes » (p. 142). L’approche n’est guère nouvelle (pour nous qui n’avons jamais cherché, sous le concept de lutte de classe, une substance, mais une relation). C’est ce processus, toujours recommencé et toujours inachevé, de « formation » qu’a magistralement étudié Edward Thompson dans son livre sur la classe ouvrière anglaise.

Mais Holloway va plus loin. Si la classe ouvrière peut constituer une notion sociologique, il n’existe pas selon lui de classe révolutionnaire. « Notre combat ne vise pas à établir une nouvelle identité, mais à intensifier une anti-identité ; la crise d’identité est une libération » (p. 212) : elle libère une pluralité de résistances et une multiplicité de cris. Cette multiplicité ne saurait être subordonnée à l’unité a priori d’un Prolétariat mythique. Car, du point de vue du faire et de l’agir, nous sommes ceci et cela, et bien d’autres choses encore, suivant des situations et des conjonctures changeantes. Toutes les identifications, si fluides et variables soient-elles, jouent-elles un rôle équivalent dans la détermination des termes et des enjeux de la lutte ? Holloway ne (se) pose pas la question. Se démarquant du fétichisme de la multitude selon Negri, il exprime seulement une crainte, où perce l’énigme stratégique irrésolue : « Insister sur la multiplicité en oubliant l’unité sous-jacente des rapports de pouvoir conduit à une perte de perspective politique », au point que l’émancipation devienne alors « inconcevable ». Dont acte.

Le spectre de l’anti-pouvoir

Pour conjurer cette impasse et résoudre l’énigme stratégique proposée par le sphinx du capital, le dernier mot de Holloway est celui de l’anti-pouvoir : « Ce livre est l’exploration du monde absurde et spectral de l’anti-pouvoir » (p. 38). Il reprend à son compte la distinction développée par Negri entre le « pouvoir-de » (« potentia ») et le « pouvoir-sur  » (« potestas »). Le but serait désormais de libérer le pouvoir-de du pouvoir-sur, l’agir du travail, la subjectivité de l’objectivation. Si le pouvoir-sur se trouve parfois « au bout du fusil », ce ne serait pas le cas du pouvoir-de. La notion même de contre-pouvoir relèverait encore du pouvoir-sur. Or, « la lutte pour libérer le pouvoir-de ne vise pas édifier un contre-pouvoir, mais plutôt un anti-pouvoir, quelque chose de radicalement différent du pouvoir-sur. Les perspectives de révolution centrées sur la prise du pouvoir se caractérisent par leur insistance sur le contre-pouvoir » ; c’est ainsi que le mouvement révolutionnaire se serait trop souvent construit « comme une sorte d’image-reflet du pouvoir, armée contre armée, parti contre parti ». L’anti-pouvoir se définirait en revanche comme « la dissolution du pouvoir-sur » au profit de « l’émancipation du pouvoir-de » (p. 37).

Conclusion stratégique (ou anti-stratégique, si tant est que la stratégie reste étroitement liée au pouvoir-sur ?) : « Il doit être clair à présent que le pouvoir ne peut pas être pris, qu’il n’est pas la propriété d’une personne ou d’une institution particulière », mais qu’il « réside dans la fragmentation des relations sociales » (p. 72). Parvenu à ce point sublime, Holloway contemple avec satisfaction la quantité d’eau sale de la baignoire écopée chemin faisant, mais il s’inquiète un peu tard de savoir « combien de bébés avec » ? (p. 72). La perspective d’un pouvoir des opprimés a en effet été remplacée par un anti-pouvoir indéfinissable et insaisissable, dont on apprendra seulement qu’il est partout et nulle part, comme le centre de la circonférence pascalienne.

Le spectre de l’anti-pouvoir hanterait donc le monde ensorcelé de la mondialisation capitaliste ? Il y a pourtant fort à craindre que la multiplication des « anti » (l’anti-pouvoir d’une anti-révolution et d’une anti-stratégie), ne soit en définitive qu’un piètre stratagème rhétorique, aboutissant à désarmer (théoriquement et pratiquement) les opprimés, sans briser pour autant le cercle de fer du capital et de sa domination.

Un zapatisme imaginaire

Philosophiquement, Holloway trouve chez Deleuze et Foucault une représentation du pouvoir comme « multiplicité de rapports de forces », et non comme relation binaire. Ce pouvoir ramifié se distingue de l’État régalien et de ses appareils de domination. L’approche n’est guère nouvelle. Dès les années soixante-dix, Surveiller et Punir et LaVolonté de Savoir, ont influencé certaines relectures critiques de Marx [10]. Souvent proche de celle de Negri, la problématique de Holloway s’en distingue cependant lorsqu’il lui reproche de s’en tenir à une théorie démocratique radicale fondée sur l’opposition entre pouvoir constituant et pouvoir institué. Cette logique, binaire encore, d’un choc de titans entre la puissance monolithique du capital (l’Empire majuscule) et la puissance monolithique, en dépit de sa diversité, de la Multitude majuscule.

La référence principale de Holloway est l’expérience zapatiste dont il se fait le porte-parole théorique. Le zapatisme apparaît cependant imaginaire, voire mythique, dans la mesure où il ne prend guère en compte les contradictions réelles de la situation politique, les difficultés et les obstacles réels rencontrés par les zapatistes depuis le soulèvement du 1er janvier 1994. S’en tenant au niveau du discours, il ne cherche même pas les raisons de l’échec de leur implantation urbaine. Le caractère novateur de la communication et de la pensée zapatiste est indéniable. Dans un beau livre, L’Étincelle zapatiste, Jérôme Baschet en analyse les apports avec sensibilité et subtilité, sans en nier les incertitudes et les contradictions [11].

Holloway, lui, a tendance à prendre la rhétorique au pied de la lettre.

Pour s’en tenir à la question du pouvoir et du contre-pouvoir, de la société civile et de l’avant-garde, il ne fait guère de doute que, le soulèvement chiapanèque du 1er janvier 1994 (« moment de remise en marche des forces critiques », dit Baschet), s’inscrit dans le renouveau des résistances à la mondialisation libérale confirmé depuis, de Seattle à Gênes en passant par Porto Alegre. Ce moment est aussi le « ground zéro » de la stratégie, un moment de réflexion critique, d’inventaire, de remise en cause, au terme du « court XXe siècle » et de la guerre froide (présentée par Marcos comme une sorte de troisième guerre mondiale). Dans cette situation particulière de transition, les porte-parole zapatistes insistent sur le fait que « le zapatisme n’existe pas » (Marcos), et qu’il n’a « ni ligne, ni recettes ». Ils affirment ironiquement ne pas vouloir s’emparer de l’État, ni même du pouvoir, mais aspirer à « quelque chose d’à peine plus difficile : un monde nouveau ». « Ce qui est à prendre, c’est nous-mêmes », interprète Holloway. Les zapatistes n’en réaffirment pas moins la nécessité d’une « nouvelle révolution » : pas de changement sans rupture.

Soit donc l’hypothèse d’une révolution sans prise du pouvoir, développée par Holloway. À y regarder de plus près, ces formulations sont plus complexes, et plus ambiguës qu’il n’y paraît au premier abord. On peut y voir d’abord une forme d’autocritique des mouvements armés des années soixante et soixante-dix, du verticalisme militaire, du rapport de commandement envers les organisations sociales, des déformations caudillistes. À ce niveau, les textes de Marcos et les communiqués de l’EZLN marquent un tournant salutaire qui renoue avec la tradition cachée du « socialisme par en bas » et de l’auto-émancipation populaire : il ne s’agit pas de prendre le pouvoir pour soi (parti, armée, ou avant-garde), mais de contribuer à le rendre au peuple en soulignant la différence entre les appareils d’État proprement dit, et les rapports de pouvoir inscrits plus profondément dans les rapports sociaux (à commencer par la division sociale du travail entre les individus, les sexes, les intellectuels et les manuels, etc.).

À un second niveau, tactique, le discours zapatiste sur le pouvoir relève d’une stratégie discursive : conscients que les conditions de renversement du pouvoir central et de la classe dominante sont loin d’être réunies à l’échelle d’un pays qui compte trois mille kilomètres de frontière commune avec le géant impérial américain, les zapatistes disent ne pas vouloir ce que, de toute façon, ils ne peuvent atteindre. C’est faire de nécessité vertu, pour s’installer dans une guerre d’usure et dans une dualité durable de pouvoir, du moins à l’échelle d’une région.

À un troisième niveau, stratégique, le discours zapatiste reviendrait à nier carrément l’importance de la question du pouvoir, pour revendiquer simplement l’organisation de la société civile. Cette position théorique reproduirait la dichotomie entre société civile (mouvements sociaux) et institution politique (électorale notamment). La première serait vouée à un rôle de pression (de lobbying) sur des institutions que l’on se résigne à ne pas pouvoir changer.

Inscrit dans des rapports de forces nationaux, régionaux, et internationaux peu propices, le discours zapatiste joue de ces différents registres et la pratique zapatiste navigue habilement entre différents écueils. C’est absolument légitime, à condition de ne pas prendre pour argent comptant des énoncés qui participent du calcul stratégique auquel ils se prétendent étranger : les zapatistes eux-mêmes savent bien qu’ils gagnent du temps ; ils peuvent relativiser dans leurs communiquées la question du pouvoir, mais ils savent bien que le pouvoir réellement existant de la bourgeoisie et de l’armée mexicaine, voire celui du « colosse du Nord », ne manquera pas, si l’occasion se présente, d’écraser l’insurrection indigène du Chiapas comme les guérillas colombiennes. En donnant du zapatisme une image passablement angélique, au prix d’une mise à distance de toute histoire et de toute politique concrète, Holloway entretient des illusions dangereuses. Non seulement la contre-révolution stalinienne ne joue aucun rôle dans son bilan du
XXe siècle, mais toute l’histoire vient, chez lui comme chez un François Furet, des idées justes ou fausses. Il se permet ainsi un bilan pour solde de tout compte : ni réforme, ni révolution, puisque « les deux expériences ont échoué, la réformiste comme la révolutionnaire ». Le verdict est pour le moins expéditif, grossiste (et grossier), comme s’il n’existait que deux expériences symétriques, deux voies concurrentes et également faillies ; et comme si le régime stalinien (et ses copies) était imputable à « l’expérience révolutionnaire », et non à la contre-révolution thermidorienne. Selon cette étrange logique historique, on pourrait aussi bien proclamer que la voie de la Révolution française a échoué, comme celle de la révolution américaine, etc. [12].

Il faudra bien oser aller au-delà de l’idéologie, plonger dans les profondeurs de l’expérience historique, pour renouer les fils d’un débat stratégique enseveli sous le poids des défaites accumulées. Au seuil d’un monde en partie inédit, où le nouveau chevauche l’ancien, mieux vaut reconnaître ce qu’on ignore, et se rendre disponible aux expériences à venir, que de théoriser l’impuissance en minimisant les obstacles à franchir.

Contretemps n° 6, février 2003

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Notes

[1] Voir Michaël Löwy, Utopie et Rédemption, Paris, Puf.

[2] Voir notamment Michaël Hardt et Toni Negri, Empire, Paris, Exils, 2000. Et John Holloway, Change the World Without Taking Power [Changer le monde sans prendre le pouvoir], Londres, Pluto Press, 2002. Traduction espagnole : Cambiar el Mundo sin tomar el Poder, Buenos Aires, collection Herramienta, 2002.

[3] Il est même frappant de constater à cet égard que le rapport à l’héritage dans cette mouvance est beaucoup plus respectueux (voire cérémonieux) et moins critique que les « retours à Marx » d’un néomarxisme hétérodoxe.

[4] Voir Daniel Bensaïd, La Discordance des temps, Paris, Éditions de la Passion, 1995 ; Résistances. Essai de taupologie générale, Paris, Fayard, 2001 ; des articles dans Contretemps n° 2 et dans la revue italienne Erre n° 1 (sur la notion de multitude) ; enfin, une contribution à paraître en anglais dans un recueil des éditions Verso.

[5] Voir le dossier publié dans Contretemps n° 3.

[6] Holloway ne s’aventure guère dans un examen critique de cette révolution copernicienne. Un quart de siècle après, une évaluation est pourtant possible, ne serait-ce que pour éviter de répéter les mêmes illusions théoriques et les mêmes erreurs pratiques, en habillant le même discours d’une terminologie rénovée. Voir à ce sujet la contribution de Maria Turchetto sur « la trajectoire déconcertante de l’opéraïsme italien » (in Dictionnaire Marx contemporain, sous la direction de Jacques Bidet et Eustache Kouvélakis, Paris, Puf, 2001) ; ainsi que Steve Wright, Storming Heaven. Class Composition and Struggle in Italian Autonomist Marxism, Londres, Pluto Press, 2002.

[7] Jean-Marie Vincent, Fétichisme et Société, Paris, Anthropos, 1973.

[8] Stavros Tombazos, Les Temps du Capital, Cahiers des saisons, Paris, 1976. Alain Bihr, La Reproduction du capital (deux tomes), Lausanne, Page 2, 2001.

[9] Voir Daniel Bensaïd, « Leaps ! Leaps ! Leaps ! », International Socialism n° 95, été 2002.

[10] C’était, parmi bien d’autres, mon cas dans le livre significativement intitulé La Révolution et le Pouvoir (Paris, Stock, 1976), dont l’avertissement introductif (qui me fut reproché par certains camarades) disait : « La première révolution prolétarienne a donné sa réponse au problème de l’État. Sa dégénérescence nous a légué celui du pouvoir. L’État est à détruire et sa machinerie à briser. Le pouvoir est à défaire, dans ses institutions et ses ancrages souterrains. Comment la lutte par laquelle le prolétariat se constitue en classe dominante peut-elle, malgré la contradiction apparente, y contribuer ? Il faut reprendre l’analyse des cristallisations du pouvoir dans la société capitaliste, suivre leurs résurgences dans la contre-révolution bureaucratique, chercher dans la lutte des classes exploitées les tendances par lesquelles la socialisation et le dépérissement du pouvoir peuvent l’emporter sur l’étatisation de la société » (p. 7).

[11] Jérôme Baschet, L’Étincelle zapatiste – Insurrection indienne et résistance planétaire, Paris, Denoël, 2002 et sa contribution à ce numéro de Contretemps.

[12] Voir dans ce même numéro de Contretemps la contribution critique d’Atilio Boron (traduction de La Selva y la Polis, paru dans Osal, Buenos Aires, juin 2001). Tout en exprimant sa sympathie et sa solidarité envers la résistance zapatiste, il combat la tentation d’en faire un nouveau modèle en masquant ses impasses théoriques et stratégiques.

Fuente:

http://danielbensaid.org/La-Revolution-sans-prendre-le?lang=fr

imagen:

https://lh3.googleusercontent.com/AZEyV4eQUHnHBm3Apq-sSOJag6g3UT-ypVka8fO48n1vjBrFpufdXRTmnG1fopr35GiO=s85

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Francia: Lanza un plan para frenar la baja de calidad de su educación pública

Francia/Noviembre de 2016/Fuente: EuroNews

Francia, conocida por su lema nacional Libertad, igualdad, fraternidad, durante mucho tiempo se ha enorgullecido y ha celebrado sus sistemas de salud y educación gratuita. Pero tiene grietas preocupantes:

Francia cada vez da peores y peores resultados en las pruebas de evaluación de educación internacional. Va muy por detrás de los países asiáticos, pero también de la mayoría de los países del norte de Europa.

Y un estudio reciente realizado por un organismo público francés muestra que lo que de verdad hace la escuela es ampliar las desigualdades entre alumnos.

Irónico, cuando vemos que las palabras Libertad, Igualdad, Fraternidad están grabadas en las fachadas de las escuelas públicas francesas.

Francia ha tratado de reformar su educación durante décadas. Por ejemplo, identificó escuelas prioritarias, practicamente de alumnos de integración, que reciben más fondos. Pero las escuelas prioritarias, a menudo ubicadas en barrios desfavorecidos o con inmigrantes, son estigmatizadas con demasiada frecuencia. De ellas huyen familias de ingresos medios y son evitadas, si no temidas, por algunos profesores, perpetuando así la segregación y las desigualdades.

Durante el actual gobierno socialista, Francia ha realizado una serie de reformas educativas para combatir esta debilidad formativa.

Fuente: http://es.euronews.com/2016/11/25/francia-lanza-un-plan-para-frenar-la-baja-de-calidad-de-su-educacion-publica

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Entrevista a Najat Vallaud Belkacem: «Pagaremos mejor a los profesores donde sea más difícil enseñar»

27 Noviembre 2016/Fuente y Autor:Euronews

La ministra de Educación de Francois Hollande, Najat Vallaud Belkacem, ha realizado una serie de reformas educativas para atajar el progresivo deterioro del sistema educativo francés.

– Sophie Claudet, euronews: Recientes estudios del sistema educativo francés nos muestran que Francia es el país más desigual de la OCDE desde hace años.

– Najat Vallaud Belkacem, ministra de Educación: Lo que hay que entender es que esas encuestas se han hecho sobre alumnos de 15 años con lo que lo que se evalúa es el sistema educativo que estos alumnos han seguido los años precedentes.
Los niños que van a educarse con nuestras reformas, que han entrado en vigor entre el año pasado y este, podrán ser evaluados de verdad con el mismo método cuando hayan pasado diez años.
Así que lo que hemos hecho en 2015 por primera vez en 30 años es una auténtica reforma de la educación prioritaria, prescindir de los centros que no cumplían ningún papel y centrarnos en los centros de educación prioritaria de escuelas y colegios que hasta el momento no tenían ayudas.

Dar muchos más medios, casi quinientos millones de euros suplementarios presupuestados sobre la educación prioritaria para pagar mejor a los profesores que están en los puestos donde es más difícil enseñar y sobre todo aportar respuestas pedagógicas nuevas que giran especialmente sobre un seguimiento especial mucho más estrecho de los alumnos de educación prioritaria que el que se ha hecho con alumnos fuera de la educación prioritaria.

– S.C.: Vemos en el Informe Pisa que los países mejor valorados son los que tienen una mejor formación del profesorado y una evaluación y corrección en tiempo real. ¿Esto forma parte de su reforma?

– N.V.B.: Acabamos de implantar una reforma profunda de tal forma que los enseñantes progresan en su carrera, son remunerados, inspeccionados, evaluados. Y es muy importante porque por primera vez hemos conseguido hacer valer el principio de que los profesores que más se involucran deben ser mejor valorados que el resto.

– S.C.: ¿Ha visto lo que ha ocurido en otros países europeos, puede ser una fuente de inspiración para Francia? Pienso en Alemania y en Polonia, mal valorados en el Informe Pisa en 2000 pero que han reaccionado.

– N.V.B.: La reforma de la enseñanza secundaria se ha inspirado mucho en lo hecho en Alemania, Suiza, los países nórdicos, sobre todo en lo referente a la interdisciplinaridad, es decir a cómo varias asignaturas pueden, en un momento dado, descompartimentarse y cobrar sentido para los alumnos porque van a mostrarse juntas y así se ha hecho cooperar, trabajar juntos a los alumnos. Tenemos muchos modelos.

– S.C.: ¿Francia puede inspirarse también en el modelo alemán o suizo de formación profesional?

NVB: La verdad es que estoy muy vinculada a esos modelos. Hemos decidido crear 500 nuevas vías de formación profesional relacionadas con oficios en los que vemos que dentro de diez años va a faltar mano de obra.
Sin embargo, para ser sincera con usted, a mí lo que me molesta es que en realidad, para una parte aún importante de nuestros decisores, de nuestros observadores, de los que protagonizan el debate público sobre educación, la formación profesional no tiene el mismo valor que la enseñanza general.

– S.C.: Quería saber su opinión sobre un último aspecto; es una declaración del Consejo Nacional de Evaluación del Sistema Educativo que dice así: “El sistema educativo francés pone en peligro a la vez de aquí en adelante tanto el crecimiento educativo como la cohesión nacional y social”.

– N.V.B: Insisto sobre el hecho de que se trata de una mirada a los años precedentes, no se trata de una opinión sobre los que ha pasado desde 2012. Eso es claramente lo que hemos sufrido antes de 2012, la supresión de puestos, porque yo no quiero que todo se reduzca a una cuestión cuantitativa, pero cuando ni siquiera tienes los medios para que haya un profesor por aula, y hemos visto lo dificil de renovar la plantilla de profesores, cuando no tienes suficientes enseñantes formados, como era el caso antes de 2012, entonces, por definición te encuentras incapaz de hacerte cargo de alumnos, de la diversidad de los alumnos, de las desigualdades.

Fuente de la entrevista: http://es.euronews.com/2016/11/25/najat-vallaud-belkacem-ministra-de-educacion-de-francia-pagaremos-mejor-a-los

Fuente de la imagen: http://media.rtl.fr/online/image/2014/0905/7774122742_najat-vallaud-belkacem-invitee-de-rtl-le-5-septembre-2014.jpg

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Francia lanza un plan para frenar la baja de calidad de su educación pública

Francia/26 noviembre 2016/Fuente: euronews

Francia, conocida por su lema nacional Libertad, igualdad, fraternidad, durante mucho tiempo se ha enorgullecido y ha celebrado sus sistemas de salud y educación gratuita. Pero tiene grietas preocupantes:

Francia cada vez da peores y peores resultados en las pruebas de evaluación de educación internacional. Va muy por detrás de los países asiáticos, pero también de la mayoría de los países del norte de Europa.

Y un estudio reciente realizado por un organismo público francés muestra que lo que de verdad hace la escuela es ampliar las desigualdades entre alumnos.

Irónico, cuando vemos que las palabras Libertad, Igualdad, Fraternidad están grabadas en las fachadas de las escuelas públicas francesas.

Francia ha tratado de reformar su educación durante décadas. Por ejemplo, identificó escuelas prioritarias, practicamente de alumnos de integración, que reciben más fondos. Pero las escuelas prioritarias, a menudo ubicadas en barrios desfavorecidos o con inmigrantes, son estigmatizadas con demasiada frecuencia. De ellas huyen familias de ingresos medios y son evitadas, si no temidas, por algunos profesores, perpetuando así la segregación y las desigualdades.
Durante el actual gobierno socialista, Francia ha realizado una serie de reformas educativas para combatir esta debilidad formativa.

Fuente:http://es.euronews.com/2016/11/25/francia-lanza-un-plan-para-frenar-la-baja-de-calidad-de-su-educacion-publica

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Las desigualdades en el sistema escolar francés. ¿qué falla en el modelo?

Europa/Francia/26 Noviembre 2016/Fuente: Euronews

En la escuela de secundaria Jean Moulin de Marsella, las manos se alzan, los alumnos preguntan, estudian, también hay disciplina y respeto.

El centro está situado en uno de los barrios más desfavorecidos y problemáticos de la ciudad francesa. Hay muchos estudiantes becados cuyos padres ganan menos de mil euros al mes. El centro forma parte de una REP red de educación prioritaria.

Arnaud Sallaberry profesor en este centro afirma que están “un poco por debajo del número de alumnos que un colegio normal en donde hay clases de 27, 28, 29, 30 alumnos. Aquí hay 24 por aula. Es más confortable. Y además hemos puesto en marcha clases de apoyo escolar. Los alumnos se reparten en “grupos por niveles”. Con dos clases, creamos tres”.

El sistema de educación prioritaria se introdujo en Francia en 1982 para ayudar a las escuelas de las zonas más desfavorecidas, y hace un año se aplicó una reforma. El 19’8 % de los alumnos de primaria y el 20’5 % de los estudiantes de secundaria franceses acuden a centros de la red de educación prioritaria.

Dominique Dupperay ha dirigido un centro de primaria durante cinco años. Para él el cambio ha sido espectacular. “Antes de la reforma sólo el 40% de los alumnos aprobaban el examen y a penas la mitad iban al instituto. Ahora hemos tenido años buenos con cerca del 70% de aprobados y un 100% de alumnos que optan por la secundaria general o por la formación profesional. El hecho de haber contado con más medios en la enseñanza prioritaria, unido a la implicación y a la reflexión de los equipos pedagógicos sobre metodologías más innovadoras, nos han permitido mejorar la trayectoria escolar del alumnado”, asegura.

Pero cabe preguntarse si este centro es la excepción que confirma la regla en el sistema educativo francés. Sobretodo teniendo en cuenta que Francia encabezó en 2013 la lista de la OCDE de países en los que las desigualdes son más flagrantes, y otro informe reciente del CNESCO lo confirma.

Hay más de nueve mil establecimientos de primaria y secundaria calificados como centros de educación prioritaria en Francia. Uno de cada cinco alumnos va a ellos.

En Bobigny, en el extrarradio de París, nos han denegado todas las peticiones para filmar en escuelas prioritarias. La razón oficial: están inundados de demandas desde que se publicó el informe.

Véronique Decker ha trabajado en Bobigny durante treinta años. Y aunque su escuela primaria, el colegio Marie Curie está en una red de educación prioritaria, dice que el montante que ha recibido es mínimo.

Los estudiantes y sus familias, la gran mayoría emigrantes, viven en viviendas sociales. A ella no le extraña que Francia encabece ese ranking. Decker asegura que
“no hay igualdad entre las escuelas públicas y las privadas. La escuela privada percibe dinero de los padres, escoge a sus alumnos, mientras que nosotros no recibimos fondos de los padres – de lo cual me alegro – ni podemos escoger a nuestros alumnos – de lo cual también me alegro – pero el caso es que no hay igualdad entre la pública y la privada. No hay igualdad tampoco entre las diferentes escuelas públicas; ya que el Estado francés acepta que en su territorio existan barriadas relegadas, en las que las escuelas de esos barrios son percibidas como escuelas de un gueto”.

Laurence Blin clama justicia para sus hijos. El mayor va a un centro de educación prioritaria en Bobigny, pero lo de prioritaria, ella no lo tiene tan claro. Las horas lectivas se han reducido en un 25 %, el dinero prometido para contratar y formar al profesorado no ha llegado, a persar de que el año pasado llegaron cincuenta alumnos más. Laurence y un grupo de padres han redactado una queja formal. Estiman que sus hijos son víctimas de desigualgad, algo contrario a los códigos educativos escritos en la constitución gala. Para Laurence Blin “es un problema enorme. No se remplaza a los profesores. Mi hijo está en sexto de primaria, y durante todo un trimestre han estado sin profesor de inglés. En quinto, igual, se quedaron sin profesor de historia y geografía durante tres meses y estuvieron dos trimestres sin profesor de artes plásticas. En cuarto, el primer mes no tuvieron profesor de ciencias. Es dantesco. ¿Cómo se puede pretender que luego en el instituto estos alumnos tengan el mismo nivel que los alumnos que han tenido profesores durante todo el año?”, dice.

Pero entonces ¿qué es lo que ha fallado en el sistema educativo francés? Nathalie Mons del CNESCO, el consejo nacional francés encargado de evaluar el sistema escolar, admite que los resultados son limitados. “Hace treinta años que Francia ha puesto en marcha políticas escolares que son muy similares y que no han tenido efectos significativos en la lucha contra las desigualdades sociales en la escuela. Por ejemplo, desde principios de los ochenta estamos aplicando una política de educación prioritaria que no ha podido reflejar resultados positivos. Es evidente que es muy importante dar más recursos pedagógicos a los centros con dificultades. Es necesario; pero nos hemos dado cuenta de que los recursos extraordinarios que se dieron tenían muy poca relación con el aprendizaje”, comenta.

En Marsella los estudiantes que se diplomaron el año pasado, tienen cita para recuperar sus certificados escolares. Los resultados de este centro están mejorando y desde las instituciones se espera que ésta sea la tónica en otros establecimientos de educación prioritaria.

Según Dominique Duperray, director del centro de secundaria Jean Moulin “en Francia, la escuela no cumple la función de trampolín social y debería serlo. Hay que restaurar la confianza en la escuela, como reclaman las familias y los alumnos.”

Fuente: http://es.euronews.com/2016/11/25/las-desigualdades-en-el-sistema-escolar-frances-que-falla-en-el-modelo

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Los ritmos del capital

Europa/Francia/Noviembre 2016/Daniel Bensaïd/http://www.rebelion.org/

Tras la Segunda Guerra Mundial, el movimiento revolucionario se vio confrontado a una situación imprevista. El régimen burocrático soviético no solo sobrevivió a la guerra, sino que parecía conocer una expansión en Europa oriental. El capitalismo, asfixiado en los años 1930, parecía recuperar vigor. En 1947, el joven militante Ernest Mandel, se aferra en un primer momento a la idea de que este boom no era más que un corta respiro previo a un nuevo desarrollo revolucionario. Constatando los efectos del plan Marshall en la recuperación de la producción y la estabilización de la situación en Europa, algunos trotskistas, como Tony Cliff o Nahuel Moreno, se mostraron más vacilantes durante el congreso de la IV Internacional en 1948. Cuando estuvo claro que en realidad se trataba del inicio de un período de expansión duradera, Ernest Mandel, se comprometió en el esclarecimiento del enigma de esta vitalidad recuperada del capital. A partir de entonces, la reflexión teórica sobre los ciclos de acumulación y las crisis constituye uno de los hilos conductores de su obra económica: desde el Tratado de economía marxista (1962) hasta el libro sobre las ondas largas que ahora se edita en francés, pasando por El capitalismo tardío (1972), La crisis (1978) y El capital: cien años de controversia sobre la obra de Marx(1985)/1.

¿Cómo explicar el dinamismo recuperado del capitalismo de los «treinta gloriosos»?, ¿Por qué el desencadenamiento de la Segunda Guerra Mundial no se tradujo, a diferencia de los años 1920, en el renacimiento de un potente movimiento revolucionario en los países capitalistas desarrollados? Las respuestas de Mandel a estas cuestiones jamás fueron simples. Para el, las tendencias económicas fuertes están estrechamente entrelazadas a las innovaciones tecnológicas, a las luchas sociales y a los acontecimientos políticos. De ese modo, en los años 1960 Mandel fue uno de los primeros en retomar el debate sobre los ciclos del desarrollo capitalista, interrumpido en los años 1920, a partir de una relectura de Kondratieff, en aquella época víctima de la amnesia organizada por la ortodoxia estalinista. Mientras que, en Marx, la «periodicidad regular» de las crisis tenía que ver exclusivamente con las crisis del ciclo industrial o comercial (aproximativamente cada diez años), desde principios del siglo XX economistas académicos (como Jean Lescure o Albert Aftalion) y teóricos socialistas (como Parvus o Van Gelderen) registraron fluctuaciones de otra amplitud. Pero la primera síntesis que ponía en relación los movimientos a largo plazo de los precios y de la producción fue la de N.D. Kondratieff en los artículos y conferencias de 1922 a 1926/2. Desde los trabajos de Simiand y Schumpeter en el periodo de entreguerras, la teoría de los grandes ciclos cayó en desgracia. La expansión de los «treinta gloriosos», la atenuación de los ciclos cortos y la eficacia relativa de las políticas anti cíclicas alimentaron la ilusión de que el espectro de la crisis estaba definitivamente conjurado. Así pues, cuando parecía que iban a triunfar las teorías del equilibrio, del neocapitalismo organizado y del crecimiento ordenado, Mandel fue uno de los raros autores en sostener y desarrollar la teoría de las ondas largas. Si muchas de las interrogantes vinculadas a esta teoría continúan aún sin respuesta, la hipótesis de las ondas largas se ha impuesto en los programas de investigación con la larga depresión iniciada en los años 1970/3.

Así pues, Mandel estuvo entre los primeros a comprender el significado histórico del cambio de ciclo, o de onda, que se dio a mediados de los años 1960-1970, y a ofrecer una interpretación compleja, que no se puede recudir, como a veces lo hace la economía vulgar, al efecto mecánico de la «crisis del petróleo» de 1973. A la luz de este cambio, profundizó la distinción terminológica entre ciclo y onda, tratando de corregir la interpretación mecanicista a la que se podría prestar la noción de ciclo. A este fin, retomó las cuestionen esbozada por Trotsky en los años 1920. Éste, en su informe de junio de 1921 al 3er Congreso de la Internacional Comunista sobre La crisis económica mundial y las tareas de la Internacional, echó un pulso a todos los que establecían una relación mecánica entre crisis económica y situación revolucionaria. En su artículo de 1923 sobre La curva del desarrollo capitalista, insistió de nuevo, contra Kondratieff, sobre la complejidad de las relaciones entre economía y política: « Es una tarea muy difícil, imposible de resolver en su pleno desarrollo, el determinar aquellos impulsos subterráneos que la economía transmite a la política de hoy.» Los ciclos tienen según el, un valor explicativo real, pero «no podemos decir que estos ciclos lo explican todo: eso está excluido por la simple razón de que los ciclos mismo no constituyen fenómenos económicos fundamental, sino derivados.» Si el capitalismo se caracterizase solo por la recurrencia de los ciclos, «la historia no sería más que una repetición compleja y no un desarrollo dinámico.»

A finales de los años 1970, uno de los mayores problemas planteados a los revolucionarios por la entrada en una nueva onda larga depresiva fue (y continúa siéndolo) el de las condiciones para [el desarrollo de] una nueva onda expansiva. Si por una parte, la tendencia descendente se puede comprender teóricamente a la luz de la caída tendencial de la tasa de beneficio, por otra, la tendencia ascendente parece requerir una modificación radical de las relaciones de fuerza y la modificación de las condiciones políticas e institucionales para la realización del valor del capital. Mandel subraya así que la originalidad de su concepción de la «ondas largas asimétricas» se basa en que «nos apoyemos en la relativa autonomía del factor subjetivo para concluir de ella que la salida de una onda larga depresiva no está predeterminada sino que depende de la lucha de clases entre fuerzas sociales vivas.» De ese modo, rechaza el economicismo y el determinismo heredados de la II Internacional. Sin embargo, la oposición entre los factores «endógenos» (económicos) que determinarían la inflexión de la tendencia descendente, y los «factores exógenos(extraeconómicos) que determinarían la tendencia ascendente continúa siendo tributaria de una separación demasiado formal entre economía y política, entre objetividad y subjetividad:

«Por todas las razones señaladas, nos aferramos a nuestra concepto de un ritmo fundamentalmente asimétrico para las ondas largas del desarrollo capitalista, en el cual la tendencia descendente (el paso de una onda larga expansiva a una onda larga depresiva) es endógeno, mientras que la ascendente no lo es. Ésta depende sobretodo del cambios radicales en el contexto histórico y geográfico general del modo de producción capitalista, cambios capaces de inducir un ascenso fuerte y sostenida de la tasa media de ganancia.»

El hecho es que el pensamiento de Ernest Mandel se opone tanto a la simplificación harmónica, según la cual, el capitalismo habría superado sus contradicciones internas y alcanzado un régimen de crecimiento ilimitado, como a la simplificación catastrofista que se obstina en negar las nuevas formas del capitalismo mundial para continuar profetizando permanentemente su crisis final. Esta posición le costó sufrir un fuego cruzado, siendo acusado tanto de profetizar una crisis improbable, como de ceder a las sirenas de un «neocapitalismo» capaz de regular sus contradicciones. Sin embargo, para él, esas contradicciones seguían estando bien presentes. Y no solo conducían a una crisis generalizada de las relaciones sociales sino, también, a una crisis de las relaciones culturales y de la relación con las condiciones naturales de reproducción de la especie. En ese sentido, su programa de investigación era particularmente profundo. Mientras, como lo recuerda Francisco Louça, la teoría económica dominante se construyó, «sobre las propiedades newtonianas de un universo atomista», su teoría de las ondas largas era «histórica por esencia y conforme a las exigencias epistemológicas de un enfoque realista de la economía.» Para elucidar la conjunción de las tendencias regulares y de las irregularidades periódicas, Mandel se opuso tanto a un marxismo mecanicista como a la «mística del equilibrio» de la economía clásica, de las nociones de «variables parcialmente autónomas» y el «determinismo dialéctico.»

De ese modo, retoma y desarrolla la lógica dialéctica de Marx, presente en la tercera sección del libro 3 de El Capital en torno a la baja tendencial de la tasa de beneficio, «ley bidefálica según la cual, las mismas causas que provocan una disminución de la tasa de beneficio provocan el incremento simultáneo de la masa de benficio»/4. En efecto, extraña ley esta «ley tendencial» que contiene las causas «que la contrarrestan» y desarrolla sus propias «contradicciones internas». Semejantes fórmulas implican una causalidad diferente a la única causalidad mecánica y lineal clásica de causa-efecto. Así, la dinámica de una fase expansiva no puede, insiste Mandel, explicarse por la sola lógica del «capital en general». Implica una «serie de factores extra-económicas, tales como las guerras de conquista, la ampliación y contracción del ámbito de actuación del capital, la competencia intercapitalista, la lucha de clases, las revoluciones y las contrarrevoluciones, etc.»

Ernest Mandel distingue así los ciclos económicos de un «ciclo largo de la lucha de clases, del ascenso y declive de la combatividad y la radicalización de la clase obrera, relativamente independientes de las ondas largas de acumulación, aunque en cierta medida entrelazadas a ella«. La verificación empírica de tal «ciclo largo de la lucha de clases» está por hacer. Hay quien ha tratado de hacerlo/5. Una primera dificultad reside en los indicadores que se manejan y en su fiabilidad. Suponiendo que la misma sea resuelta (a través de una estadística rigurosa de las huelgas, de los resultados electorales, de los efectivos sindicales y de los movimientos sociales), sin duda, se podría establecer la relación entre las fluctuaciones económicas y la conflictividad social. Sin embargo, este vínculo no sería suficiente para dotarnos de las razones explicativas de la periodicidad de un ciclo largo de la lucha de clases, salvo que giremos en redondo deduciéndola (en cierta forma mecánicamente!)… ¡del ciclo económico! Hasta el final de su vida, Ernest Mandel soñó con una teoría de los ciclos de la lucha de clases dialécticamente articulada a la de las ondas largas. Sueño de formalización sin duda inalcanzable en la medida en que se enfrenta a los efectos complejos de la discordancia de los tiempos/6.

En el tercer capítulo de la Ondas largas, Mandel evalúa el desarrollo histórico del capitalismo a la luz de los cambios operados desde la Primera Guerra Mundial:

«Desde entonces hemos entrado en una nuevo periodo histórico que implica tanto el declive como la contracción geográfico de ese modo de producción. La victoria de la Revolución rusa y las pérdidas subsiguientes que sufrió el sistema capitalista internacional, en la Europa del Este, en China, en Cuba y en Viertnam, son manifestaciones significativas de ese proceso, aunque en modo alguna sean las únicas.»

Desde que fueron escritas esas líneas, Rusia y China se han integrado en el espacio de la globalización mercantil. Millones de trabajadores y trabajadoras de estos países han sido arrojados al mercado mundial sin protección social. A pesar de las derrotas infligidas al movimiento obrero a escala mundial, a pesar del restablecimiento de la tasa de beneficio, a pesar de los resultados financieros de las multinacionales y de los fondos de pensiones, la onda depresiva no se ha transformado en una onda expansiva. Nos encontramos en el umbral de una nueva época, bastante diferente de la postguerra en la que Ernest Mandel trató de descifrar estos enigmas. Por lo tanto le corresponde a la nueva general aprender a utilizar los útiles conceptuales que nos legó para descifrar los enigmas del presente.

Prefacio de 2008 al libro de Ernest Mandel Les ondes longues du développement capitaliste. Une interprétation marxiste, coeditado por M-Ediciones (Quebec) y la Fundación Leon Lesoil (Bélgica). Editions Syllepse, Paris 2014, 252 páginas, 25 euros.

Notas

1/ La edición original del libro sobre las ondas largas apareció en inglés en 1980 con el título Long Waves of Capitalist Development. El Tratado de Economía Marxista fue publicado por Ediciones ERA en 1969. El capitalismo tardío, se publicó inicialmente en allemán en 1972 en Ediciones Suhrkamp Verlag con el título Der Spätkapitalismus. En castellano fue publicado por ERA en 1979. La crisis fue publicada por Fontamara en 1975. Por último, El Capital, Cien anos de controversias, apareció en México en 1985 editado por Siglo XXI.

2/ Artículos publicados y presentados por Louis Fonvieille con el título Les grands cycles de la conjoncture, paris, Economica, 1992.

3/ Ver Bernard Rosier et Pierre Dockès, Rythmes économiques, Paris, La Découverte, 1983 ; Bernard Rosier, La théorie des crises, Paris, La Découverte, 1987 ; Jean-Paul Fitoussi et Philippe Sigogne (dir.), Les cycles économiques, Paris, Presses de la Fondation des sciences politiques, 1994 ; Francisco Louçã, Turbulence in Economics : An Evolutionary Appraisal of Cycles and Complexity in Historical Processess, Cheltenham, Edward Elgar Publishing, 1997 ; Chris Freeman et Francisco Louçã, As Time Goes by, Londres, Oxford University Press, 2001 ; Robert Brenner, The Economics of Global Turbulence, Londres, Verso, 2006.

Sin embargo, un autor como Makotoh Itoh no admite la hipótesis de las ondas largar mas que como fruto de una constatación empírica sin marco teórico establecido: «No seria necesario que la teoría de los ciclos largos presentada en la obra de Mandel oscurezca el carácter homogéneo del periodo de las crisis cíclicas regulares. La teoría de los ciclos largos debe ser considerada como un ensayo de generalización a partir de las experiencias históricas de las grandes depresiones de fin del siglo XIX y de los años 1930. Dudo mucho que se pueda probar que ella integre la teoría fundamental de la crisis de Marx» (Makotoh Itoh, La crise mondiale, théorie et practique, Paris, EDI, 1987).

4/ Karl Marx, Le Capital, livre 3, t. 1, Editions sociales, 1957, p 233.

5/ Ver, entre otros, G. Gatteï, Every 25 Years ? Strike Waves and Economic Cycles, coloquio internacional sobre las ondas largas y la coyuntura económica, Bruselas, 1989.

6/ para Henryk Grossmann, los intentos de transformación de la economía política en ciencia exacta están prisioneros de una cuantificación unilateral que les impide pensar la dinámica temporal del desequilibrio: «Se ha podido escribir que el sistema de equilibrio propio a la teoría matemática no conoce ni índices, ni coeficientes de tiempo; por lo tanto, es incapaz de concebir un estado de equilibrio real.» Su único mérito, si es que se puede decir así, es por lo tanto el de constituir una «economía atemporal» (Henryk Grossmann, Marx, l’économie politique classique et le problème de la dynamique, Paris, Champ libre, 1975). Para Frossmann la economía dinámica obedece a la lógica del desequilibrio que modifica las nociones clásicas de la ley y de la causalidad. Marx afirma también que «la ley está determinada por su contrario, a saber la ausencia de la ley» de forma que «la verdadera ley de la economía política es el azar» y que la ley se impone «a través del juego ciego de las irregularidades» (Le Capital, op. cit., livre 1, p. 112-113). Esta lógica asimétrica del desequilibrio concierne sobre todo a las ondas largas.

 Traducción del francés: VIENTO SUR / http://www.vientosur.info/spip.php?article9625

Fuente:

http://www.rebelion.org/noticia.php?id=192955

Fuente imagen:

https://lh3.googleusercontent.com/vPSxtfK_BdetthCYepHqbEhMUmjlLwROrbSv-9uLN-WnzxgcjKKm-FaqPfF9ZGuz6pKxRg=s88

 

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Éducation à la sexualité ou éducation à l’hétérosexualité?

 On parlait du cycle menstruel. Le jour 14, c’est le jour où tu ovules, et tout. Un élève a dit : « Merde ! J’ai fait l’amour le 14 février ! » Il a fallu que j’explique que l’ovulation n’avait pas nécessairement lieu le 14 de tous les mois », raconte, perplexe, une enseignante d’école secondaire québécoise. « “En matière de sexualité, c’est au garçon d’assurer. C’est lui qui fait tout puisque c’est lui qui pénètre”. C’est le genre de commentaire qu’on entend systématiquement », rapportent des professeurs de collège français. Pour peu qu’on s’intéresse à l’éducation à la sexualité, les anecdotes abondent, navrantes et similaires des deux côtés de l’Atlantique.

La sexualité sans plaisir

Ces constats, pourtant, sont loin d’étonner les membres du Groupe académique Éducation à la sexualité de Créteil. Ce groupe d’une quinzaine de membres (infirmières, enseignant(e)s, chefs d’établissements, etc.) de l’Académie de Créteil œuvre depuis 2013 à l’information et à la formation des personnels en matière d’éducation à la sexualité. Leurs actions menées au sein de différents établissements visent à susciter chez les élèves des réflexions quant aux fausses croyances (liées notamment à une méconnaissance du fonctionnement du corps ou des pratiques sexuelles) et aux stéréotypes sexués (accordant aux filles et aux garçons des rôles distincts et complémentaires dans l’exercice de la sexualité) qu’ils peuvent entretenir.

 

 

Ces préconceptions ne sont pas entièrement adressées par les programmes actuels, qui misent pour la plupart sur des points d’entrée en matière essentiellement biologiques, via les sciences de la vie et de la Terre. Cela contribue à constituer, toujours selon des membres du Groupe avec qui nous avons échangé, un frein à une éducation à la sexualité plus complète et inclusive. Ils estiment que cette approche dessert les élèves LGBTI(lesbiennes, gays, bisexuels, trans et intersexes) mais, plus globalement, « tous les élèves qui se questionnent ou estiment ne pas être dans la norme – du corps, du comportement, du ressenti », comme le montrait d’ailleurs l’anthropologue américaine Gayle Rubin.

Les contenus des apprentissages en éducation à la sexualité passionnent Guillaume Cyr, doctorant en éducation à l’Université du Québec à Montréal et ancien enseignant de science. L’ennui, selon lui, c’est que l’inclusion des programmes d’éducation à la sexualité se heurte à au moins deux types d’obstacles. Le premier, c’est l’insistance accordée aux enseignements sur la reproduction sexuée. « Cela évacue la question du plaisir sexuel, ce qui tend à naturaliser l’hétérosexualité ». Le second, « c’est qu’on présente les corps, et donc la sexualité, selon une bicatégorisation par sexe ».

Selon ces enseignements, au-delà des anatomies féminine et masculine, il y aurait des manières acceptables de draguer, de solliciter les rapprochements sexuels, de se comporter pour plaire à l’autre, de concevoir le plaisir sexuel, qui seraient distinctes en fonction du sexe. Ces représentations limitées de la sexualité humaine (presqu’exclusivement associées à la pénétration vaginale) contribueraient de surcroît à présenter une sexualité associée au plaisir pour les garçons/hommes, et à la responsabilité et à la gestion du risque pour les filles/femmes. Bref, les programmes auraient tendance à reconduire une série de normes en matière de sexualité qui seraient largement genrées.

Tabous, clichés et controverses

Les tensions autour des contenus à transmettre en éducation à la sexualité n’étonnent guère les sociologues du curriculum. La sexualité est peut-être l’une des thématiques dont l’inclusion dans le curriculum scolaire a fait – et continue de faire – l’objet du plus de controverses, et dans plusieurs pays. Au Canada, le gouvernement de la province de l’Ontario a dû retourner à la table de travail en 2010 après que sa tentative d’introduire un nouveau programme d’éducation à la sexualité abordant les notions d’orientation sexuelle et d’identité de genre ait déplu à des groupes de parents d’élèves. Au Royaume-Uni, de 1988 à 2003, les enseignant(e)s désireux de parler d’homosexualité étaient largement freinés en raison de la section 28 de l’acte de gouvernement local interdisant de faire la promotion de l’homosexualité.

En France, la controverse la plus récente date de 2011 et concerne l’introduction des notions d’identité et d’orientation sexuelles dans les manuels scolaires de science et vie de la terre. Cette initiative a engendré une importante levée de boucliers, ses opposants reprochant à l’Éducation nationale de se faire porteuse d’une supposée « théorie du genre ».

On identifie trois courants dominants d’intervention en éducation à la sexualité, qui correspondent à autant de manières d’inclure la sexualité dans le curriculum.

  • Le modèle traditionnel, préconisé par plusieurs états américains se caractérise par la promotion de l’abstinence avant le mariage, la valorisation de l’union hétérosexuelle et la condamnation de l’homosexualité. Ces programmes accentuent la construction d’un certain type de « normalité sexuelle », encensant les notions de monogamie, de relation sexuelle comme étant uniquement centrée sur la pénétration, de la conformité des partenaires aux rôles de genre conventionnels.

  • Le modèle préventif, sur lequel s’axe notamment le programme scolaire français, aborde la sexualité sous l’angle de ses risques inhérents (infections transmissibles sexuellement, grossesse à l’adolescence, violence dans les relations amoureuses, etc.) et des manières d’y faire face (principalement la contraception).

  • Quant au modèle libéral, en vigueur dans les pays scandinaves, il est axé sur la promotion du plaisir et la discussion des différentes orientations sexuelles.

L’Unesco a publié en 2010 des Principes directeurs internationaux sur l’éducation à la sexualité, mais suggère qu’une approche uniforme des contenus liés à la sexualité n’est ni possible, ni souhaitable. L’efficacité des initiatives d’éducation sexuelle dépend ainsi des influences culturelles spécifiques à chaque région.

Pas d’uniformisation des savoirs

Au-delà des contenus scolaires, le manque d’uniformisation des connaissances transmises d’une école à l’autre, même d’une classe à l’autre, règne en maître au chapitre des préoccupations. « L’éducation à la sexualité est tout à fait inégale d’une école à l’autre », constate Guillaume Cyr. « Au Québec, on a peu d’informations, autres qu’anecdotiques, sur ce qui se passe dans les écoles ».

Il faut dire que l’éducation à la sexualité a connu son lot de pérégrinations dans la province. Instaurés en 1986 comme module du cours de Formation personnelle et sociale, les enseignements liés à la sexualité ont à toutes fins utiles disparu du cursus scolaire en 2000, avec la modification du programme de formation de l’école secondaire. Malgré cette réforme des contenus, ces sujets demeuraient en théorie sous la responsabilité de l’école. Les enseignant(e)s et les personnels scolaires se partageaient donc la tâche d’évoquer, ici les mécanismes de la reproduction humaine, là la puberté, là encore, l’épineuse question des orientations sexuelles. En septembre 2015, un programme pilote d’éducation à la sexualité a vu le jour dans 19 écoles secondaires, mais n’en est encore qu’à ses premiers balbutiements.

La situation n’est ni plus simple, ni plus rose en France. L’éducation à la sexualité est obligatoire dans les écoles françaises depuis l’adoption de la loi du 4 juillet 2001. Les écoles, les collèges et les lycées sont tenus d’assurer au moins trois séances annuelles d’éducation à la sexualité. Comme au Québec, on fait rapidement le constat d’initiatives inégales en fonction des écoles et des territoires, puisqu’étroitement liées aux bonnes volontés d’enseignants et de personnels.

Le 15 juin 2016, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes publiait un rapport relatif à l’éducation à la sexualité. Ce rapport tirait la sonnette d’alarme quant aux inégalités filles-garçons en matière de sexualité : poids des attentes de genre et des stéréotypes de sexe, enjeux liés à la préservation d’une réputation féminine, popularité des violences sexistes et cybersexistes, méconnaissance du plaisir et du corps féminin, inégalité des responsabilités en matière de prévention des maladies sexuellement transmissibles et des grossesses non désirées, etc.

Comment aller de l’avant, alors, avec une éducation à la sexualité répondant dans les faits aux besoins de tous les élèves ? Le caractère inclusif du programme devrait être dans la mire des ministères d’éducation et du corps enseignant, suggère Guillaume Cyr.

« Le programme d’éducation à la sexualité devrait faire mention des réalités des personnes LGBTI, inclure une historicisation des contenus des programmes afin d’éviter de les présenter et de les percevoir comme universels, et les présenter de manière non genrée afin d’éviter la bicatégorisation par sexe. »

Selon le Groupe académique Éducation à la sexualité de Créteil, il faudrait a minima que l’on questionne la manière dont les membres des équipes éducatives se représentent eux-mêmes la sexualité. Car si les tabous en matière de sexualité sont surtout verbalisés par les jeunes, ils n’en sont pas moins partagés par les adultes à l’école

Fuente:

https://theconversation.com/education-a-la-sexualite-ou-education-a-lheterosexualite-67612

 

Fuente imagen: https://lh3.googleusercontent.com/65tW-nCuHUhwFBrOXX9QLnspp-JENp0e5GTSkfPH7uo7lzFaryfWOcOR18KskIM1z1rU=s85

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