France / 14 avril 2018 /marianne
L’engagement est ferme et tient lieu de stratégie de communication au gouvernement : «Il n’y a aucun endroit en France où on ferme une classe quand il y a une augmentation du nombre d’élèves». Jean-Michel Blanquer était formel le 14 mars, au 20 heures de France 2, se disant même prêt à «rectifier une décision si on [lui] montrait le contraire«. Le ministre de l’Education répondait ainsi à une critique lancinante : pour assurer le dédoublement des classes de CP et de CE1 dans les réseaux d’éducation prioritaire (REP), promesse d’Emmanuel Macron, le gouvernement est accusé de déplumer les écoles rurales de leurs professeurs. Pas du tout, rétorquent les membres de l’exécutif : si des classes ferment en campagne, c’est uniquement parce que le nombre d’élèves baisse.
Mais cette réponse pragmatique connaît au moins une exception: à Rochefort-en-Valdaine, commune de près de 400 âmes située dans le sud de la Drôme, l’école s’apprête à voir une classe fermer… alors que le nombre d’élèves sera en augmentation l’année prochaine. Et alors que les élus locaux, les enseignants et les parents d’élèves se sont mobilisés, le gouvernement n’a toujours pas donné de réponse à leur appel à l’aide.
Revenons quelques années en arrière, en 1989 précisément. A cette époque, la classe de La Touche, autre commune située dans ce petit coin de Drôme à une dizaine de kilomètres de Montélimar, est menacée de fermeture. Pour la sauver, trois bourgades – Portes-en-Valdaines, Rochefort-en-Valdaines et La Touche – sont incitées à coopérer pour créer un Regroupement pédagogique intercommunal (RPI). Ce dispositif, très fréquent en zone rurale, permet à plusieurs écoles à faibles effectifs de se regrouper en une seule entité, et de «dispatcher» leurs classes dans les différents établissements. Décision est donc prise de scolariser les élèves les plus jeunes (maternelle) à Portes, les plus âgés (CM1 et CM2) à La Touche et les autres à Rochefort. En 1995, une classe supplémentaire est même ouverte à Rochefort-en-Valdaines pour répondre à l’augmentation de la population.
Cette situation a perduré pendant plus de vingt ans, avant de prendre brutalement fin le 9 février dernier. Le directeur académique (DASEN) de la Drôme décide qu’à la rentrée 2018, une classe du RPI sera fermée. Représentants du personnel, parents d’élèves et maires s’unissent alors en remuant ciel et terre pour infléchir cette décision. Des contacts sont pris avec la députée et la sénatrice locales, des pétitions sont lancées par les parents d’élèves, qui les font circuler via les cahiers de leurs enfants. Finalement, un courrier est envoyé au ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer par le maire de Portes-en-Valdaine, Jean-Bernard Charpenel.
Consternation chez les habitants
Point central de l’argumentation de l’édile : les effectifs vont augmenter à la rentrée. Cette année, le RPI scolarise 64 élèves : les prévisions de novembre faisaient état de 65 élèves pour septembre prochain, avant que les conjectures évoluent, passant en début d’année à 70. Et encore, ces chiffres sont trompeurs : dans ces petites écoles de campagne, les enfants de 2 ans sont aussi accueillis en classe, même s’ils sont trop jeunes pour être comptabilisés dans les statistiques officielles. En effet, le manque de services publics en zone rurale, et notamment de crèches ou de garderies, incite les parents qui travaillent à scolariser le plus vite possible leur progéniture. Si on prend en compte les «vraies» données, le RPI drômois va donc passer à 79 élèves l’an prochain. Et pourtant, le DASEN a décidé de la fermeture d’une classe.
Du côté de l’équipe pédagogique, on s’inquiète des conséquences qu’aura la fermeture de la classe sur l’enseignement. Actuellement, chacune des quatre classes compte une vingtaine d’élèves, mais les professeurs doivent gérer des «double niveaux» : A Portes-en-Valdaine, les élèves de petite, moyenne et grande section, ainsi que ceux âgés de seulement deux ans, sont tous dans la même classe. A La Touche, les CM1 et les CM2 sont ensemble, tandis qu’à Rochefort-en-Valdaines, une section regroupe les CP et CE1, et une autre des CE2 et CM1. C’est dans cette dernière école qu’une classe devrait fermer. Avec un impact immédiat sur l’enseignement : huit sections d’élèves devront être réparties sur seulement trois classes. «De deux niveaux, on va se retrouver avec des classes à trois niveaux, détaille un membre de l’équipe enseignante. Et de 20 élèves par classe, on passerait à moyenne à 23… sans compter les enfants de deux ans, que l’école maternelle va devoir a priori renoncer à scolariser l’an prochain.» Des classes de 23 élèves, pouvant aller du CP au CE2, et du CE2 au CM1 : les conditions sont loin d’être idéales pour les instituteurs, et pourraient pousser les parents à scolariser leurs enfants ailleurs… mettant en danger la vie locale.
Jean-Michel Blanquer va-t-il intervenir, après avoir promis qu’aucune classe ne fermerait si le nombre d’élèves augmentait ? Dans son courrier de réponse au maire de Portes-en-Valdaine, que nous avons pu consulter, le cabinet du ministre se veut conciliant : «Soyez assuré qu’il y aura plus de professeurs par élève dans chaque département rural de France à la rentrée prochaine«, assure-t-on. C’est peut-être là que se niche l’entourloupe : promettre davantage d’enseignants par élève au niveau du département ou «aucun endroit en France où on ferme une classe quand il y a une augmentation du nombre d’élèves«, ce n’est pas la même chose… Toujours est-il que Jean-Michel Blanquer a indiqué qu’il tiendrait le maire de Portes «directement informé de la suite susceptible d’être réservée à [sa] démarche«. C’était fin février. Depuis, le petit regroupement communal de la Drôme n’a toujours pas reçu de réponse.
Fuente: https://www.marianne.net/societe/des-eleves-en-plus-mais-une-classe-en-moins-dans-cette-ecole-rurale-la-promesse-de-macron-n