Document central : 2e Congrès mondial contre le néolibéralisme éducatif : alternatives pédagogiques, résistances associatives et syndicales (Panama, 5-9 juin 2023)

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Approuvé avec suggestions d’amendements en première discussion le 7 juin 2023 au Dôme Universitaire, ville de Panama. Approuvé en seconde discussion à Veraguas, Panama, pour diffusion massive le 9 juin 2023.

 

D’où venons-nous ?

Les syndicats et associations professionnelles des travailleur·ses de l’éducation, collectifs pédagogiques et d’éducation populaire, chercheur·ses et universitaires réunis à Panama, partagent un engagement indéfectible dans la défense du droit à l’éducation publique pour toutes et tous, ce qui nous a permis de nous retrouver venant de divers horizons.

Ainsi, nous avons construit un important tissu social de résistance, pluriel, démocratique, divers qui nous ont fait coïncider sur des positions, scénarios et perspectives.

Des décennies de connaissance et reconnaissances dans les résistances associatives et syndicales ont rendu possible l’importante convergence éducative qui s’est déroulée en 2020, quand nous avons décidé d’organiser le 1er Congrès mondial contre le libéralisme éducatif. Cette rencontre, faite de manière virtuelle, a permis de rassembler près de 12 000 activistes sociaux de l’enseignement pour dénoncer les anciens et les nouveaux modèles de privatisation éducative, la déterritorialisation, la mise en place d’une école à plusieurs vitesses, la dépédagogisation, la standardisation et la marchandisation de l’éducation.

En septembre 2020, nous avons décidé de nous rencontrer à nouveau de façon présentielle, pour continuer notre réflexion sur la manière d’affronter l’offensive néolibérale dans l’éducation. Nous retrouver pour réfléchir ensemble, articuler, proposer et mettre en accord des convergences dans des luttes communes. Ce 2e Congrès mondial contre le néolibéralisme, c’est la continuité du dialogue et de la rencontre, centrés sur cette opportunité d’explorer les convergences sur les alternatives pédagogiques, les résistances associatives et syndicales.

 

Une situation complexe pour l’éducation publique

Nous vivons une conjoncture exceptionnelle, dans laquelle se manifestent des attaques multiples contre l’éducation publique présentielle. Dans cette attaque contre le public convergent les intérêts nationaux et internationaux qui veulent transformer l’éducation en une marchandise. C’est pour cela qu’en complément du travail que réalisent, dans chacun de nos pays, nos organisations et collectifs, ainsi que les individus, il nous paraît important de préparer des chemins pour construire un horizon partagé tenant compte de nos diversités. Cet effort part du diagnostic suivant :

 

  1. L’éducation publique présentielle est un droit humain fondamental, obligation imprescriptible des États, qui rend possible la réduction des inégalités sociales dues aux origines de classe.

 

  1. C’est pour cela que les progrès scientifiques et technologiques récents doivent être vus comme des compléments au travail pédagogique présentiel mais jamais comme son substitut. Les institutions éducatives présentielles, au-delà de l’acquisition des connaissances et des savoirs, constituent l’espace privilégié pour apprendre à vivre ensemble, pour partager, pour créer et pour développer la justice sociale ;
  2. La symbiose entre plateformes digitales et systèmes méritocratiques constitue un modèle de gestion individualiste des apprentissages, dépersonnalisé et autoritaire, où toute possibilité d’amélioration des conditions de travail et formation professionnelle de l’enseignant est remplacée par le seul droit de la mise en concurrence entre pairs dans des conditions d’inégalité territoriale et technologique.
  3. Nous soutenons les exigences de transformation radicale des systèmes scolaires pour les mettre en conformité avec les attentes des majorités citoyennes et des diversités historiquement situées, non à celles du grand capital et de ses intérêts.
  4. Ces exigences impliquent de revoir les conditions du travail enseignant, les salaires et les traitements, la sécurité sociale et le droit à une retraite digne ;
  5. comme de comprendre que les luttes des travailleur·ses de l’éducation font partie d’un ensemble plus vaste de luttes contre les détenteurs du capital qui soumettent la classe travailleuse à des conditions de plus en plus aggravées de misère et précarité. Cela affecte les possibilités réelles d’inclusion et de poursuite d’études pour les enfants de celles et ceux qui vivent du travail.
  6. les élèves et étudiants sont également fortement atteints par le néolibéralisme éducatif. Considérés comme matière première ou produits de l’appareil productif, sans droits, sans voix devant les politiques éducatives. Une jeunesse sous attaque, qu’ils veulent sans pensée propre, soumise mais qui, malgré tout, se soulève, s’exprime aussi pour une nouvelle éducation et une société supérieure à celle qu’ils ont en face d’eux.
  7. La pandémie de Covid-19 a déclenché les pires offensives de privatisation sous le masque du virtuel et ce sont les familles, les élèves et les enseignants qui ont dû répondre à la transition vers le numérique tandis que les États nationaux, dans leur majorité, se désengageaient de leur obligation de garantir des conditions minimales d’apprentissage. À cela s’ajoute l’aggravation de l’école à deux vitesses déterminée par les inégalités d’accès aux connexion Internet et aux équipements de travail virtuel, ainsi que la déterritorialisation générée par les tentatives de présenter des «solutions éducatives» semblables pour des territoires très différents.
  8. De plus, les périodes de confinement dus à la pandémie ont accru la précarisation du travail, impactant fortement les femmes. Les travailleuses de l’Éducation sont retournées à l’intérieur de leurs foyers pour prendre en charge les travaux de soins domestiques (alimentation, habillement, nettoyage, soin aux personnes fragiles et aux enfants) ainsi que l’accompagnement de la scolarité en contexte virtuel de leurs enfants. Elles ont vu augmenter leurs heures de travail, au détriment des heures de repos et de leurs activités et progressions professionnelles.
  9. Malheureusement, le tournant néolibéral progressif de l’Unesco que nous constatons depuis 30 ans n’a pas seulement fragilisé les références alternatives mais a construit un nouvel ensemble de discours et imaginaires qui prétendent mettre l’éducation au service du marché.

11 C’est rendu possible en raison des difficultés de la pensée éducative critique à mettre en valeur et à comprendre en profondeur les différentes formes et expressions actuelles de l’offensive néolibérale contre l’éducation publique présentielle.

  1. Dans ce contexte, nous considérons que la mobilisation sociale est un modèle fondamental pour dénoncer le néolibéralisme éducatif et construire des consensus ;
  2. Pour cela, nous faisons un appel à multiplier à partir des associations professionnelles, syndicats enseignants, collectifs pédagogiques, organisations d’éducation populaire et de pédagogies critiques, les espaces de formation, de débat pluriel et de rencontres qui permettront la coordination d’initiatives socialement référencées, pour freiner sur tous les territoires l’offensive globale contre l’éducation publique ont entrepris les entreprises technologiques, les banques de développement, le multilatéralisme, la philanthropie d’entreprise et les corsaires qui prétendent prendre d’assaut les organisations de la société civile.

 

Alors, où allons nous ?

D’un côté, il y a ce que le capital veut mettre en place dans l’Éducation ; de l’autre, ce que pensent et permettent les Peuples. Ce 2e Congrès mondial contre le néolibéralisme éducatif est pensé à partir des logiques de résistance et de construction de l’enseignement populaire.

Pour le capitalisme, tout ce qui se fait dans la société doit être transformé en profit et ils considèrent l’Éducation comme une marchandise. Pour nous, l’Éducation a pour fonction centrale la vie en commun et le développement intégral social de la personnalité, dans une perspective d’émancipation.

Le capitalisme veut plus de virtuel et moins de présentiel pour diminuer l’investissement social et transférer ce qui est économisé aux grandes entreprises technologiques, quand nous affirmons alphabétisation algorithmique, virtuel/numérique comme complément et non comme centralité de l’acte éducatif et plus d’investissement dans l’infrastructure, les effectifs et la formation pour l’éducation présentielle émancipatrice du 21e siècle.

Le capitalisme veut perpétuer les objectifs comportementaux, l’évaluation standardisée, la planification et le curriculum avec des taxonomies reproductives, l’évaluation punitive et les didactiques de l’approche STEM. Nous, nous affirmons : plus de liberté et de joie dans les classes, apprentissage adapté, créatif, libérateur et humaniste, penser l’éducatif dans chaque école au travers de collectifs pédagogiques, d’évaluation partagée, de didactiques actives à partir du contexte, de programmation à partir des territoires.

Le capitalisme détruit la profession enseignante en précarisant le travail dans les classes, faisant des professionnels de l’enseignement des survivants du désastre économiques néolibéral. Nous, nous affirmons qu’il est urgent de rendre digne la profession enseignante, du point de vue social et du travail, revendiquant notre droit à nous organiser librement, à lutter syndicalement, à compter avec la stabilité, des conventions collectives et des conditions de travail dignes.

Le capitalisme veut gommer l’identité des travailleur·ses de l’éducation. Nous enseignant·es, affirmons notre identité et la construisons de manière partagée dans la mobilisation sociale et la rencontre dans les collectifs pédagogiques.

Le capitalisme nous veut enfermés dans nos classes, nous ouvrons les fenêtres pour respirer l’air du changement et nous ouvrons grand les portes pour rencontrer nos collègues et le peuple de tous les territoires, les mouvements populaires, les jeunesses, les peuples premiers, les populations en résistance, le mouvement féministe populaire, la défense des négritudes ;

Nous construisons un tissu social partagé avec un horizon commun dans la défense de l’Éducation publique présentielle populaire, démocratique, scientifique, actualisée, émancipatrice, fondée sur les savoirs et la connaissance, rebelle, libérée du patriarcat et pour une société de justice sociale ;

 

Pour un plan d’action partagé

Ce « 2e Congrès mondial contre le néolibéralisme éducatif : alternatives pédagogiques, résistances associations et syndicales » est la continuité d’efforts et le point de départ pour construire des chemins et continuer des résistances partagées que nous permettent de :

 

  1. Assumer l’identité de Congrès Mondial contre le néolibéralisme éducatif par la signature de documents, déclarations et autres contributions basés sur consensus.

 

  1. Renforcer le Groupe de Contact International (GCI) comme espace pour nous connaître, nous reconnaître, nous rencontrer et cheminer ensemble ;

 

  1. Construire dès maintenant un itinéraire interactif pour élaborer des agendas partagés communs contre le néolibéralisme éducatif. En conséquence, impulser la construction de mouvements pédagogiques, tenant compte des particularités territoriales.

 

  1. Procéder à des rencontres nationales diffusant cette initiative en 2023 et 2024 en privilégiant les espaces régionaux.

 

  1. Réaliser la deuxième École Syndicale internationale (virtuelle) fin 2023, basée sur les méthodologies et contenus travaillés pendant la première expérience de 2022 impulsée par «Otras Voces en Educacion»

 

  1. Construire une rencontre de travail, en janvier 2024, à Morelia, Michoacán-Mexique, pour réaliser le document conceptuel qui permettra de s’entendre sur les catégories, termes, pratiques et politiques néolibérales en Éducation. Pour cela, on établira un plan de travail à partir de ce 2e Congrès mondial ;

 

  1. Impulser notre première école présentielle d’éducation populaire et pédagogies critiques, avec des perspectives de genre, à Ibagué Tolima en juin 2024.

 

  1. Unir nos efforts pour tenir notre IIIe Congrès Mondial contre le néolibéralisme éducatif à Rio de Janeiro, Brésil en octobre 2024, comme un espace pour penser, dialoguer et construire ensemble.

 

  1. Explorer la possibilité de transformer la journée du 5 octobre (journée mondiale des enseignant·es – Unesco) à partir de 2024, en une journée globale de mobilisation et de lutte des travailleur·ses de l’éducation, en coordonnant internationalement la défense de l’Éducation publique présentielle, la profession et le travail enseignant. Pour cela nous établissons un plan de contacts et d’accords entre les organisations présentes.

 

Nous sommes en chemin, nous continuons à additionner les volontés pour aider à la naissance une société qui ait l’éducation et la justice sociale en son centre.

 

Panama, juin 2023

 

 

[1] organisations invitantes : ASOPROF (association des professeurs du Panama) et CII-OVE (centre international de recherche – autres voix dans l’Éducation), avec la participation de 78 délégués internationaux présents, 12 délégués virtuels, 500 délégués d’ASOPROF et quelques 2000 personnes connectées à la chaîne Youtube de «Otras Voces en Educación».

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